Des travailleurs indochinois forcés à servir la France

© DR
Cette image prise au camp de Mazargues, à Marseille, après-guerre montre Tran Van Than avec des compatriotes.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, 20’000 Indochinois ont participé à «l’effort de guerre» français. Ces jeunes travailleurs, souvent réquisitionnés de force, seront soumis à un régime de semi-liberté. A l’armistice, un millier choisiront de rester dans l'Hexagone.

Posté devant la porte-fenêtre de son salon, les mains croisées dans le dos, le petit homme guette l’arrivée de son visiteur. Vêtu d’un pantalon pincé bleu marine, d’une chemisette rose clair et de mocassins vernis à talonnettes, c’est avec une étonnante aisance que le vieux retraité descend l’escalier qui conduit à un portail peint en blanc. Il pointe fièrement du doigt un petit potager, installé à proximité de son garage, où il fait pousser fruits et légumes. A l’intérieur de son modeste pavillon, à l’exception d’un petit drapeau vietnamien posé sur un vieux tube cathodique, aucun tableau ni photo ne rappelle ses origines. Tran Van Than a pourtant grandi loin de Marseille. Il est né à Vinh, capitale de la province de Nghê An, située au nord du Viêt Nam, à 300 kilomètres de Hanoï. Jusqu’à son départ pour la France, il cultivait, avec ses parents, du maïs et du riz. «Comme on n’avait pas d’argent pour s’acheter une montre, on se levait avec le soleil et on arrêtait de travailler quand il se couchait», se remémore-t-il en souriant.

En cette année 2014, il vient de fêter ses 96 ans. En raison du fort accent vietnamien qui ne l’a pas quitté et d’une surdité déjà bien installée, on doit s’approcher tout près pour décrypter ses phrases et se faire comprendre. Une faiblesse qui n’entache en rien sa présence d’esprit et son dynamisme. Il part volontiers préparer le café, mime les scènes qu’il raconte et aime, à chaque fois, qu’il fouille dans ses souvenirs, titiller avec son index la main de celui qui lui fait face.

C’est «en décembre 1939 ou en janvier 1940», Tran Van Than ne le sait plus très précisément, qu’il a débarqué dans la cité phocéenne. «A notre arrivée sur le port, un bus est venu nous chercher pour nous amener au camp des Baumettes. Nous y sommes restés trois semaines. Il n’y avait ni douches, ni toilettes, ni papier. C’était pénible. La honte de faire nos besoins dans la cour où l’on sortait prendre l’air. Heureusement que l’on n’était qu’entre hommes», se souvient-il, sans amertume.

Comme 20’000 autres jeunes Indochinois réquisitionnés de gré ou de force, Tran Van Than a rejoint la «mère-patrie» au début de la Seconde Guerre mondiale. A l’époque, la France, qui a envoyé se battre au front ses hommes jeunes et vigoureux, a besoin d’une main-d’œuvre bon marché et docile pour travailler dans les poudreries. Le service de la Main-d’oeuvre indigène, nord-africaine et coloniale (MOI), rattachée au ministère du Travail, charge donc l’administration coloniale, installée en Indochine, de «saisir» un garçon dans chaque famille. «Chez moi, on était trois. C’est tombé sur moi, je n’ai pas eu de chance», constate l’ancien travailleur. Tran Van Than a 23 ans lorsqu’il quitte son pays natal et ses rizières.

Baptisés ONS (pour ouvrier non spécialisé), ces travailleurs, pourtant civils, vont être considérés comme des militaires et subir un régime de semi-liberté. Après les Baumettes où ils sont rassemblés pour être vaccinés, enregistrés et assignés à un poste, Tran Van Than et sa compagnie sont envoyés à Bergerac «dans une sorte de caserne où on dort dans des lits superposés. Les matelas sont en paille. Il n’y a pas de chauffage, juste un poêle par baraquement. L’eau pour se laver est gelée.» Le camp, clôturé, est gardé jour et nuit par des soldats.

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Thieu Van Muu avec le dernier exemplaire du livre qu’il a écrit en 2003, Un enfant loin de son pays. © Feriel Alouti

Les Indochinois, qui ne sont pas habitués à un tel climat, attrapent la grippe et la tuberculose. Certains meurent. «Je tombe malade, nous sommes en pleine guerre, le médecin n’a pas de médicaments, il me frotte des zones du corps avec une plante qui m’irrite la peau», détaille Tran Van Than, presque hilare, en supposant, soixante-dix ans plus tard, qu’il s’agissait probablement d’orties. Malgré ces conditions de vie, il estime avoir été chanceux. «Dans la poudrerie où l’on m’a envoyé, le travail n’est pas difficile. Le contremaître nous donne des ordres, on les exécute. Quand on travaille la nuit, on a droit à un verre de lait. On mange du riz et de la viande mais, soupire-t-il, les chefs gardent les bons morceaux, et nous on mange le gras.» Au fil des semaines, la vie s’organise. Les sorties, autorisées jusqu’à 22 heures, sont rares. Tran Van Than et la grande majorité de ses camarades sont incapables de communiquer avec la population locale. «Je ne parle pas du tout la langue, je ne comprends rien à ce que l’on me raconte», s’énerve-t-il en tapant du point sur la table. Mais, parfois, le jeune ONS marche jusqu’au bar du coin pour s’offrir une limonade à la menthe. Et, chaque dimanche matin, les travailleurs interprètes donnent à leurs compagnons d’infortune des cours de français.

Cette vie terne mais tranquille ne dure qu’un temps. Le 22 juin 1940, c’est la débâcle. La France dépose les armes, les troupes ennemies défilent dans Paris, le pays est coupé en deux. La plupart des travailleurs indochinois sont alors évacués en zone libre. Seule une poignée parvient à retourner au pays. Les autres, 14’000 au total, vont travailler pour le compte de Vichy, pour des entreprises privées et même pour l’Allemagne. Après 1941, Tran Van Than part faire les vendanges en Dordogne, puis couper du bois près d’Epinal. Alors qu’il insiste bien pour dire qu’il n’a rien fait pour, à chaque fois, il occupe le poste de chef d’unité. «J’ai beaucoup de chance, je ne coupe pas le raisin, ni le bois», précise-t-il.

Durant la Seconde Guerre mondiale, 20'000 travailleurs indochinois sont enrôlés de force par l'administration coloniale pour aider la «mère patrie» en danger et participer à l'effort de guerre dans les poudreries, les industries et les usines d'armement.

Les entreprises qui signent un contrat avec Vichy paient une somme dont une infime partie est ensuite versée au travailleur. Tran Van Than ne touche donc pas de salaire mais une sorte de défraiement qui équivaut à un franc par jour. Une misère, même pour l’époque. Cette fois-ci, les conditions de travail sont bien plus difficiles que dans les poudreries. «A Epinal, si les hommes ne coupent pas un mètre cube de bois par jour et par personne, au bout de la troisième fois, ils sont jetés en prison.»

A partir de 1943, la compagnie est envoyée à Toulon pour le compte de l’organisation Todt, du nom de l’ingénieur allemand qui a construit le Mur de l’Atlantique. Un système de fortifications côtières destiné à empêcher une invasion du continent par les Alliés depuis la Grande-Bretagne. La Wehrmacht ambitionne alors de construire un mur identique, sur la Méditerranée cette fois-ci. A l’époque, la plupart des Indochinois ne savent rien de ce qu’il se passe en France. Ils ne connaissent pas Hitler, ignorent tout du régime nazi. «Parfois, les Allemands nous criaient dessus, on ne comprenait rien. Il est arrivé qu’ils nous donnent un coup sur les fesses mais c’était rare», mime-t-il. Certains ne tardent pas à déserter. Mais pas Tran Van Than.

Lorsque la guerre s’achève, il pense, à l’instar de ses milliers de collègues, qu’il va enfin pouvoir rejoindre sa famille. Mais l’Etat français, qui a trop à faire, oublie très vite cette force de travail si précieuse il y a encore quelques semaines. Les ONS n’ont d’autre choix que de patienter. Tran Van Than s’installe avec sa compagnie au camp de Mazargues, à Marseille, rebaptisé par la suite «camp Viêt Nam».

Aujourd’hui, il ne reste rien de ce camp, même pas une plaque commémorative. Le terrain, désormais propriété d’Electricité de France, est situé au fond d’une impasse d’un quartier chic et résidentiel. Caché derrière un grand portail en tôle grise, il jouxte de vieilles maisons bourgeoises. A l’époque, entre 800 et 900 hommes y vivent sans travailler. «Les gardes sont partis, on est libres, payés et on attend de rentrer chez nous.»

La même année, en 1946, Tran Van Than rencontre Ho Chi Minh. Le leader indépendantiste s’est rendu en France pour signer les accords de Fontainebleau, par lesquels la France reconnaît l’existence au sein de son empire, de l’Etat libre du Viêt Nam. Tran Van Than et ses compagnons de Mazargues décident de se rendre à Fontainebleau pour manifester. «Ho Chi Minh nous a répondu qu’il faut rentrer au pays avec un cadeau. Pas de l’argent, ni des vêtements, mais un métier pour aider à bâtir ce pays. J’ai donc demandé à être apprenti à Marseille», se souvient-il avec mélancolie. Il entame une formation d’électricien.

En 1948, la France organise les premiers rapatriements. «Ceux qui veulent partir doivent le faire maintenant car après, leur voyage ne sera plus payé. Mais moi, j’ai déjà un travail et une petite chambre rue d’Aubagne. Donc, je me dis, soit je trouve une femme, soit je rentre chez moi.» Quelques mois plus tard, c’est la rencontre avec Rose, une voisine. Le couple aura trois enfants. Un millier de travailleurs seulement choisiront de rester en France. Les autres seront rapatriés au Viêt Nam jusqu’en 1952.

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Tran Van Than pose dans son garage de l’Estaque avec la médaille reçue du consulat du Viêt Nam pour ses actions humanitaires durant la guerre. Il avait organisé des collectes de vêtements et d’argent pour les civils. © Feriel Alouti

Thieu Van Muu a, lui aussi, décidé de rester en France. Avec un camarade, ils sont désignés par leur compagnie pour aller accueillir Ho Chi Minh à l’aéroport du Bourget. «On est là pour le soutenir. Pour moi, c’est un bon militant mais pas un dieu, comme certains le disent.» A l’époque, l’ouvrier a déjà décidé de quitter son camp pour trouver un travail et un logement à lui. Il devient soudeur chez Berliet, une usine de camions à Vénissieux. Avec son épouse française, il emménage dans une zone pavillonnaire de cette banlieue lyonnaise, construite pour héberger les ouvriers employés dans les usines du coin. Aujourd’hui, sa maison se trouve à deux pas de la cité des Minguettes, connue pour avoir été le point de départ de la «Marche des Beurs», lancée en octobre 1983 par des Français issus de l’immigration qui réclamaient l’égalité pour tous et dénonçaient le racisme. Thieu Van Muu, lui aussi, aurait pu manifester pour que la France lui rende hommage et reconnaisse ce sacrifice qu’elle lui a imposé. Il ne le fera pas.

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Thieu Van Muu et son épouse Denise. Il se souvient de sa surprise lorsque, à son arrivée en France, les habitants l’appellaient «Monsieur». © Feriel Alouti

Avec ses cheveux blancs rabattus sur le milieu du crâne pour atténuer sa calvitie, son appareil auditif et ses larges lunettes, Thieu Van Muu a l’allure d’un monsieur plusieurs fois arrière-grand-père. Confortablement installé dans un fauteuil rouge, il attend le signal de son épouse pour entamer la conversation. «Tiens papi, bois un coup, ça va te faire du bien», lance Denise, pleine d’énergie et de malice malgré ses 78 ans. C’est elle qui s’occupe de son mari et stimule autant que possible une mémoire de plus en plus défaillante. «C’est quand vous les mettez dans une maison de retraite et que vous ne leur parlez plus qu’ils perdent complètement la tête», s’agace-t-elle.

Chaque matin, comme un écolier, Thieu Van Muu écrit en toutes lettres, sur une petite ardoise en plastique, la date du jour. «J’en avais assez qu’il me demande tous les matins quel jour on est», explique Denise. Ce jour-là, le vieil homme ne se souvient plus de son numéro de matricule. «Ah non, ça, tu vas t’en rappeler», s’énerve son épouse. Thieu Van Muu bougonne. Il n’a visiblement pas envie de fouiller dans ses souvenirs. Mais à force d’insister, il finit par lâcher «342»! La mine satisfaite, il saisit son feutre et écrit immédiatement le numéro sur l’ardoise. Et, pour la première fois depuis le début de la discussion, son regard s’illumine.

Lorsque le chef du village est arrivé chez Thieu Van Muu, alors âgé de 21 ans, il a dit à son père que s’il ne donnait pas un de ses fils, il irait en prison. Son frère ayant déjà femme et enfant, c’est lui qui a été désigné. En mars 1940, il embarque à bord de l’André Lebon. Vingt-neuf jours de traversée avec interdiction aux travailleurs indochinois, parqués dans les cales du navire, de poser le pied à terre lors des escales à Port-Saïd et à Djibouti. «Il a toujours catégoriquement refusé de faire une croisière», précise son épouse.

A son arrivée à Marseille, Thieu Van Muu n’en revient pas. «Je vois des gens mal habillés et je comprends qu’en France, il y a des pauvres comme chez nous et que c’est la guerre», raconte-t-il, rieur. Il est également surpris de constater que les Français lui donnent du «Monsieur». Une chose impensable en Indochine où «l’indigène» est perçu comme un sauvage qu’il faut civiliser et le colon comme un homme incapable de parler sans crier. Pendant les années de guerre, Thieu Van Muu suit le même parcours que Tran Van Than. La mise en quarantaine aux Baumettes, la poudrerie et, après la débâcle, le travail dans les usines. Ses différentes affectations sont répertoriées dans son livret de travailleur indochinois. Dans ce petit carnet, distribué à chaque ONS, sont inscrits son état civil, les postes qu’il a occupés et les appréciations de ses supérieurs.

C’est notamment grâce à ce livret que Richard Trinh a pu reconstituer le parcours de son père, décédé il y a 40 ans. Assis à la terrasse d’un café arlésien, le quinquagénaire sort d’une mallette en cuir un dossier d’une quarantaine de pages qui renferme l’histoire de sa famille et surtout, celle de son père. Trinh Xuan Bo, matricule ZAJ63, est arrivé à Marseille le 6 juin 1940 à bord du Muinam, dernier navire à transporter des travailleurs indochinois en métropole. Venu comme interprète, il fait partie des très rares Vietnamiens qui ont répondu volontairement à l’appel de la mère patrie.

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Dans chaque livret de travailleur sont inscrits état civil, les postes occupés et les appréciations des supérieurs. © Feriel Alouti

Le fils manipule avec délicatesse le livret de travailleur de son père. Les pages jaunies sont abîmées, tachées, rongées par le temps. Les commentaires des supérieurs, rédigés soigneusement à la plume, sont dithyrambiques: «Très bon surveillant, très doué et intelligent», écrit l’un. «Excellent gradé, rend au bureau les services d’un agent européen», surenchérit un autre. Issu d’une famille aisée et lettrée, Trinh Xuan Bo savait lire, écrire et parler français. «Je n’ai jamais compris quelles étaient ses motivations pour venir en France. Pendant longtemps, j’ai connu son parcours mais pas son histoire, regrette Richard Trinh. Gosse, j’entendais souvent des bribes de conversation mais à l’époque, j’étais dans mon monde. Cinquante ans plus tard, je me souviens que mon père répétait souvent "Moi, j’ai choisi la France"»

Trin Xuan Bo travaillera de décembre 1941 à décembre 1943 comme interprète aux Salins de Giraud. «Lui n’a jamais eu à souffrir des conditions de travail. Mais je sais qu’en plein hiver, les ouvriers travaillaient pieds nus, sans gants et sans lunettes pour creuser les canaux. Certains se mutilaient pour échapper au travail», dénonce Richard Trinh. Après la guerre, il épouse une Française. Ils auront deux fils, Fabrice et Richard.

Lorsque Trin Xuan Bo meurt, en 1972, ses collègues et amis indochinois se rendent dans la maison familiale pour la veillée du corps. Richard Trinh remarque alors, «un peu par hasard», une carte postale du Vietnam. «Je la prends et je la tends à l’un de ses amis pour qu’il la traduise. Il lit: "Cher papa’" et là, je lui dis: "Arrête tu déconnes, tu sais pas lire"» Il découvre alors que son père correspondait, depuis 1967, avec un fils resté au Vietnam. «Mon père est parti quand il avait sept ans. Il espérait rentrer au Vietnam après sa retraite mais il est mort trois ans avant la fin de la guerre. Il m’a fallu 30 ans pour aller le voir.»

Thieu Van Muu sera, lui, l’un des premiers travailleurs à retourner au Viêt Nam. «J’avais dû faire un crédit pour financer le voyage», ne manque pas d’indiquer Denise. Alors que les relations diplomatiques entre le Viêt Nam du Nord et la France sont interrompues depuis plusieurs années, il réserve un vol jusqu’à Ventiane, au Laos et trouve, sur place, un avion militaire pour rejoindre le nord du pays qu’il a quitté 36 ans auparavant. Sur place, il ne trouve que sa soeur qui lui annonce la disparition de son père, sa mère et son frère. «Ça a été très difficile pour Muu», glisse Denise. Depuis, le couple y est retourné une dizaine de fois.

C’est sans Rose que Tran Van Than se rend dans son pays natal, en 1977. Lorsque l’on aborde le sujet, la maîtresse de maison, cheveux blancs et accent pagnolesque, se ferme. «Cela ne m’intéresse pas, je vais dans ma cuisine». Sans sciller, lui indique avoir retrouvé ses frères et soeurs. «Deux sont encore vivants», dit-il avant de se diriger vers ce qui semble être son coin secret. Dans son garage, au dessus de vieux chiffons et d’outils, il a accroché au mur des calendriers vietnamiens et des médailles d’anciens travailleurs indochinois. C’est avec fierté qu’il pose devant ce mur des souvenirs.

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Le mémorial pour les ouvriers indochinois, inaugurée le 5 octobre 2014 à Salins-de-Giraud, a été réalisé par un sculpteur lui-même ancien ouvrier forcé. © Mémorial pour les Ouvriers indochinois

La plupart des travailleurs installés en France savent qu’ils ne reverront certainement plus jamais leur pays. Il y a soixante-dix ans, ils auraient pu mettre fin à leur exil mais ils ont choisi de poursuivre leur vie en métropole, construire une famille et s’intégrer dans un pays qu’ils ont, bien souvent, jamais voulu rejoindre. Aujourd’hui, les enfants adultes tentent de poursuivre le travail de mémoire et de l’insuffler aux politiques, notamment par le biais de l’association. En 2009, le maire d’Arles, Hervé Schiavetti, est le premier élu à organiser une cérémonie d’hommage. Dix anciens travailleurs y participent, ils reçoivent tous une médaille. D’autres villes alentours suivront.

En février 2011, lors du passage de l’exposition à Lattes sur les travailleurs indochinois, la journaliste Carole Epinette réalise un reportage sur Nguyen Van Thanh, l’un des tous derniers témoins encore en vie.

Si le maire communiste s’est «attaché à répondre aux attentes des familles», c’est surtout parce qu’un livre, Immigrés de force, a dépoussiéré cette page d’histoire trop longtemps oubliée. «J’ai découvert cette histoire au moment de la publication de l’ouvrage de Pierre Daum», avoue Hervé Schiavetti, en charge de la mairie depuis douze ans. L’élu communiste a surtout été frappé par cette phrase en dernière page du livre: «Alors que l’on a été jusqu’à légiférer sur le rôle positif du colonialisme – la fameuse loi du 23 février 2005 -, il nous a paru indispensable d’en revenir aux faits, aux archives, pour la nécessaire étude du passé colonial du pays des Droits de l’homme.»

Le 5 octobre 2014, pour la première fois en France, une stèle dessinée par l’artiste vietnamien Lebadang, lui-même ancien ONS, a été érigée à proximité de la mairie de Salins-de-Giraud sous l’impulsion de l’association Mémorial pour les ouvriers indochinois. Présents en nombre, les descendants arboraient tous un badge sur lequel étaient inscrits le nom, le matricule et le village d’origine de leur père.

Remerciements à Caracatzanis Michel, ancien de la Compagnie des Messageries Maritimes. Ainsi qu’au Commandant Lanfant, Historique de la messagerie maritime 1851-1975; Paul Bois, Le grand siècle des messageries maritimes; enfin à Xavier Escallier pour l’autorisation d’utiliser les photos de sa collection privée.