La dernière colonie d’Afrique

© Matthis Kleeb

Depuis le départ des Espagnols en 1975, le Sahara occidental n’a toujours pas de statut définitif. Alors que la grande partie de ce vaste territoire désertique est en mains du Maroc, la majorité de la population sahraouie, elle, vit en exil dans des camps de fortune en Algérie.

Une infinité de sable, à perte de vue. Quelques sacs en plastique bleu clair dérivent au gré du vent. Et soudain, au milieu de ce désert pâle et monotone de l’extrême sud-ouest de l’Algérie, se dressent, tel un mirage, de petites maisons carrées de terre ocre et des tentes: le village de Rabouni. C'est là que la République arabe sahraouie démocratique (RASD) a installé sa capitale en exil; ici que vivent les responsables du Front Polisario, le mouvement de libération qui vise l’autodétermination du Sahara occidental dont la plus grande partie est occupée depuis 1975 par le Maroc. Depuis ce fragile centre névralgique à 1’800 km d’Alger, le gouvernement en exil administre un minuscule 20% du Sahara occidental – quelque 30’000 personnes, essentiellement des nomades –, mais surtout l’ensemble des camps de réfugiés répartis dans la province excentrée de Tindouf, soit plus de 180’000 Sahraouis. A l’ombre d’un toit de tôle, des dizaines de chaises en plastique disposées en arc de cercle face à un tableau blanc attendent des jeunes de la RASD en provenance des camps pour discuter des solutions alternatives au conflit armé les opposant aux Marocains. Cette réunion, organisée par l’ONG locale NOVA qui promeut la non-violence et plaide pour la paix, a pour but de les convaincre que la diplomatie, le dialogue et les droits de l’homme sont des stratégies plus efficaces à long terme que la guerre.

Lorsque l’Espagne se retire du Sahara espagnol en 1975, après 90 ans de domination coloniale, le territoire est divisé entre le Maroc (les deux tiers nord) et la Mauritanie (le tiers sud). Créé deux ans auparavant, le Front Polisario (Frente Popular de Liberación de Saguía el Hamra y Río de Oro) s'oppose à cette partition dont il a été exclu et proclame, avec le soutien de l'Algérie mise à l'écart des accords de Madrid, la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Qu'importe si le nouvel Etat n'est pas reconnu internationalement, il réclame la souveraineté sur cette étendue de 266’000 km2. Des combats sporadiques entre le Polisario, soutenu et armé par l'Algérie où il est basé (à Tindouf), et les forces marocaines et mauritaniennes contraignent des dizaines de milliers de Sahraouis à se réfugier dans des camps installés autour de Tindouf. En 1979, le Polisario réussit à sortir la Mauritanie du jeu. Cette dernière renonce à son fragment de Sahara, se retranche derrière ses frontières et reconnaît le Polisario comme seul représentant du peuple sahraoui. Réaction immédiate, le Maroc annexe la partie mauritanienne du Sahara occidental et érige, du nord au sud, un mur militarisé long de 2’700 km, entouré de l’un des plus grands champs de mines du monde. L'enjeu est d'importance. Ce vaste territoire, le long de la côte atlantique, constitue le seul accès maritime du Maghreb et son sous-sol regorge de riches gisements de minerais. Il est désormais contrôlé et administré par le Royaume chérifien. Au Polisario, il ne reste que 20% du Sahara occidental, des plaines arides et inhospitalières. En 1991, l’ONU réussit enfin à faire accepter un cessez-le-feu aux belligérants et envoie sur place la Minurso, une mission de maintien de la paix qui a pour objectif d’organiser le référendum d’autodétermination espéré et réclamé depuis des lustres par les Sahraouis. Prévu pour 1992... il n’a toujours pas eu lieu! Le 13 novembre 2020, après 30 ans de paix relative et d'attentes déçues, un groupe de Sahraouis manifeste au poste-frontière de Guerguerat, à l’extrême sud du Sahara occidental, pour demander l’organisation du référendum. La manifestation entraîne une intervention militaire des forces marocaines. Qualifiant cette action de violation du cessez-le-feu, le Polisario décrète «l’état de guerre». «Depuis que le conflit a repris dans ce que l’ONU a décrit comme la dernière colonie d’Afrique, beaucoup de jeunes Sahraouis n’ont plus d’espoir en une résolution pacifique, déplore Maglaha Hamma, responsable de NOVA et organisatrice de la réunion, en accueillant les premiers participants. Indirectement, l’ONU nous confirme que la stratégie de non-violence et la diplomatie ne portent pas leurs fruits. De quoi nourrir l’impatience et la frustration chez les jeunes qui ont perdu toute confiance en la communauté internationale et sa capacité et volonté de résoudre le conflit. Par conséquent, deux jeunes sur trois de cette génération qui n’a pas connu la guerre et ses conséquences la préfèrent désormais aux solutions pacifiques. Pourtant, même si elles sont de moins en moins nombreuses, elles existent encore; c’est pourquoi, en collaboration avec d’autres organisations de défense des droits de l’homme, nous continuons à organiser des conférences et des ateliers pour les jeunes Sahraouis dans les cinq camps de réfugiés afin de promouvoir un message de non-violence.»

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