Centrales électriques, corruption et AK-47 (3/3)

© virunga.org
Un éléphant sur la côte du lac Edouard.

L’avenir du parc des Virunga passera-t-il par l’énergie hydroélectrique? C’est en tout cas l’un des paris du prince belge Emmanuel de Merode, conservateur depuis 2008 de l'une des plus dangereuses réserves d'Afrique dans l'est de la RDC.

Il fait nuit à présent. Emmanuel de Merode est installé devant l’âtre en pierre du Virunga Lodge en compagnie de Laura Parker, une Américaine au fort tempérament travaillant pour la Fondation Howard G. Buffett. Tous les membres du personnel sont partis, à l’exception du barman; Emmanuel se prélasse confortablement dans un fauteuil après quelques verres de vin. La nuit avançant, il discute avec Laura de la prise de contrôle du parc par les rebelles du M23 qui plusieurs années auparavant avaient porté un coup dur au CNDP. Les rebelles ayant ravagé les bases des Virunga, les soldats congolais avaient lancé des tirs de mortier à l’intérieur du parc. Pourtant, Emmanuel et les rangers avaient refusé de quitter les lieux: il se souvient encore du vacarme des tirs. «Les bombardements commençaient à 3 h, chaque matin. Nous étions réveillés par l’artillerie. Cela nous rappelait immédiatement à l’horreur de la situation.» Un instant, son regard se perd dans les flammes, comme hanté par ce souvenir. Emmanuel s’assoupit dans le fauteuil avant de prendre congé poliment pour la nuit. Rassemblées sur deux rangs dans la forêt bordant le Lodge, des tentes d’un vert sombre font office de quartiers à l’équipe opérationnelle du parc. Emmanuel occupe l’une d’elles. L’endroit est paisible mais le décor bien austère: un miroir, quelques vêtements, ses uniformes. Les babouins aiment à cabrioler sur le toit des tentes. Le directeur du parc ne dort que quelques heures par nuit, bien qu’il travaille sans relâche tout le jour durant. Son emploi du temps témoigne d’une cadence effrénée.

Les premiers jours qui ont suivi mon arrivée dans les Virunga début 2015, je l’ai vu prendre en charge une Saint-Hubert gestante, deux avions en panne, un banquier belge et un commandant des forces des Nations Unies venu monter une opération militaire à l’encontre de groupes rebelles. La semaine suivante, Emmanuel devait se rendre à Davos, en Suisse. Il a également pris le temps d’informer le mécanicien du parc que les peintures de certaines Land Rover avaient besoin d’un coup de frais. Mais le tribut à payer est lourd pour satisfaire aux besoins sans nombre des Virunga: Emmanuel ne voit sa femme et ses filles qu’en de rares occasions. «C’est très dur côté famille», reconnaît-il. Toutefois il n’en dira pas davantage: sa vie privée est un sujet qu’il tend à préserver. Et bien entendu, ce poste a bien failli lui coûter la vie. Au vu de son parcours, Emmanuel de Merode pourrait aisément trouver un emploi grassement payé en tant que banquier, à l’instar de son frère aîné Frédéric, ou encore vivre la belle vie au château de Serrant, héritage familial situé près d’Angers. «Il prend son rôle très au sérieux, explique son ami Jonathan Baillie. Autant de dévouement dans des conditions aussi difficiles sur une si longue période, je ne sais pas comment il fait pour tenir. Il se heurte à des difficultés permanentes; la plupart des gens auraient déjà craqué.» Howard Buffett m’a un jour confié: «Je ne connais personne comme lui. Il ne panique jamais.» Le globe-trotter se souvenait d’une anecdote à propos d’Emmanuel, au moment où le M23 avançait sur Goma. Alors que les combats débutaient, la ville a été privée d'électricité. Les pompes hydrauliques ayant cessé de fonctionner, une épidémie de choléra menaçait à tout moment de frapper le million d’habitants que compte Goma. Emmanuel a appelé Howard aux Etats-Unis; il a expliqué que quatre groupes électrogènes suffiraient à remettre les pompes en service en moins de 48 h. Howard était dubitatif. «Personne ne peut acheminer quatre groupes électrogènes jusqu’à Goma; pas en cette période.» Malgré tout, Howard a transféré près de 200’000 francs sur les comptes du parc. Le jour suivant, une équipe d’ingénieurs congolais accompagnés d’Emmanuel rétablissait le courant alimentant les pompes de la cité. Quelques jours plus tard, un blogueur local écrivait un article à propos du «Miracle des eaux de Goma». Innocent Mburanumwe, le responsable du secteur sud du parc, a confié à propos de son supérieur: «Pour nous, Emmanuel est un ange, vraiment.» 

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