Les chercheurs d’or qui travaillent sur la moitié est de la Guyane vendent le plus souvent leur trésor au même endroit: une ville frontalière brésilienne poussiéreuse nommée Oiapoque, de l’autre côté de la rivière Saint-Georges, son équivalent français. Il n’existe aucune mine à proximité du côté brésilien. Pourtant, de nombreuses boutiques proposent moteurs, tuyaux et matériel de chercheur d’or, et l’artère principale de la ville est longée d’une douzaine de compras de oura, des boutiques d’orpaillage. A Carol DTVM, le premier magasin où je me rendis, un employé brésilien aux lunettes de créateur et une barbe de plusieurs jours finit par accepter de me parler. Il y avait un canapé en cuir noir et un miroir sans tain dans la pièce principale. Une peinture à l’huile représentant un campement de mine était accrochée sur un mur et sur un autre, un certificat de la Banco Central do Brasil attestant que le gouvernement leur permettait de vendre et acheter de l’or. L’employé disparut dans l’arrière-boutique pour discuter avec son patron. Quand il ressortit, il déclara qu’ils n’étaient pas dans le commerce d’or illégal, et qu’ils n’échangeaient que de la monnaie. La plupart des compras do ouro étaient aussi des bureaux de change, donc cela semblait être à moitié vrai.
A Ouro Fino, une commerçante nous expliqua qu’elle n’était pas autorisée à parler affaires en l’absence de son patron. Un peu plus loin à Ouro Ouro, un autre gérant était dans la même situation. J’allai ensuite à Gold Minas, où j’avais vu une énorme machine séparer l’or du mercure en le brûlant. Le gérant expliqua que son patron n’était pas en ville et qu’il ne pouvait pas discuter avec moi. Derrière lui, un homme plus âgé et bien habillé entra, puis ressortit rapidement. A Lyon Gold, une femme brésilienne au regard franc déclara qu’elle n’employait que des orpailleurs habilités. Un signe sur le mur indiquait que Jésus veillait sur son affaire. Enfin, Duna, le propriétaire de la sixième boutique, accepta de me parler. Selon lui, il y avait deux types de marchands d’or à Oiapoque: ceux autorisés par la Banque centrale du Brésil à vendre et acheter de l’or et ceux qui ne l’étaient pas. Les garimpeiros empruntaient le plus souvent aux marchands certifiés et les remboursaient avec l’or illégal de la Guyane. Ces marchands revendaient ensuite l’or aux exploitations certifiées, qui déclaraient le métal au Receita Federal do Brasil (les impôts brésiliens) en payant une taxe. Grâce à l’imprimatur de l’Etat, l’or était victime de l’alchimie bureaucratique, et devint une marchandise légale. Il pouvait être transformé en bijoux, fondu en lingots, déposé à la banque ou échangé sur le marché international.