Les Suisses sont-ils heureux? (2/5)

© DR
Homme en costume traditionnel du canton d'Appenzell.

Une histoire de la Suisse a pour but de proposer un récit soigneusement construit de l'histoire d’un pays surprenant mais résolument ouvert sur le monde. La réputation du peuple helvétique de compter parmi les plus heureux du monde ne date pas d'hier...

L’historien doit s’interroger à propos d’un trait de longue durée. Depuis le XVIIsiècle, les Suisses ont la réputation d’être un peuple heureux, d’appartenir à cette région privilégiée de l’Europe où l’on mange à sa faim, où l’on vit en sécurité, où la pression fiscale est supportable et le pouvoir étatique assez présent pour qu’on sache qu’il existe mais assez lointain pour qu’on n’ait pas à s’en plaindre. Nombreux sont les témoignages allant dans ce sens. Ainsi, Jean-Jacques-Christophe de Grimmelshausen, qui a traversé la guerre de Trente Ans, nous a laissé un roman baroque extraordinaire, La Vie de l’aventurier Simplicius Simplicissimus (1669). Son héros, en pèlerinage à Einsiedeln, exprime un étonnement bien compréhensible par comparaison avec les contrées d’où il vient, ces régions d’Allemagne dévastées par la guerre. Lisons plutôt: «Le pays, par rapport à d’autres pays allemands, me parut aussi étrange que si j’avais été en Chine ou au Brésil; j’y vis les gens travailler, aller et venir, les étables pleines de bestiaux, les fermes grouillantes de poules, d’oies et de canards; les routes étaient sûres pour les voyageurs, les auberges pleines de gens qui prenaient du bon temps; pas trace qu’on craignît l’ennemi, redoutât un pillage, pas de hantise d’être privé de son bien, de sa liberté ou de sa vie; chacun vivait en sûreté sous sa treille et son figuier et, en vérité, mis en balance avec d’autres pays allemands, en tout plaisir et toute joie; ce pays me parut être un paradis terrestre bien que par nature il me semblât plutôt rude.»

Les Suisses eux-mêmes partagent en général ce sentiment d’appartenir à une forme d’Etat de loin pas parfaite mais certainement la moins mauvaise qui soit. «Il n’y a aucun Etat dans toute l’Europe qui ne se trouve dans une telle situation de bonheur que le canton de Berne», s’exclame par exemple le général Peter Stuppa en 1698. Un peu plus tard, le chevalier de Jaucourt, rédacteur de l’article Suisse au tome 15 de l’Encyclopédie (1765), renchérit dans une formule empreinte d’idéal physiocratique: «Je sais que la nature, si libérale ailleurs, n’a rien fait pour cette contrée, mais les habitants y vivent heureux; les solides richesses qui consistent dans la culture de la terre y sont recueillies par des mains sages et laborieuses.» Déjà d’Alembert lui-même terminait en 1757 son article Genève en détournant une exclamation de Virgile: «O fortunatos nimium, sua si bona norint!» en clair, dans le contexte désormais récurrent: «Trop heureux ces Helvètes, s’ils connaissaient leur bonheur!»

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