Les malaises helvétiques (5/5)

© Johnny Ainsworth
Sur le drapeau suisse, la croix blanche symbolise l'unité helvétique, le rouge qui l'entoure, le sang versé pour la défense de la liberté.

La Suisse pourra-t-elle supporter de devenir ordinaire quand toute son histoire a reposé sur la conviction d’être unique?

«Je suis jeune et riche et cultivé; et je suis malheureux, névrosé et seul»C’est ainsi que commence le récit autobiographique Mars, rédigé durant les dernières années de vie de l’écrivain Fritz Zorn, décédé du cancer en 1976. Ce livre a eu un succès considérable au cours des années 1980, celles des émeutes urbaines. Il dénonce notamment l’hypocrisie de la société helvétique. D’autres intellectuels l’ont aussi fait, comme Nicolas Meienberg (1940-1993) qui a largement contribué à éclairer les Suisses sur la nécessité de porter un regard critique sur leur propre passé, en particulier sur les compromissions des élites avec l’Allemagne nazie. Et pourtant, à quelques exceptions près, les intellectuels n’ont jamais eu beaucoup d’audience dans ce pays volontiers conformiste et se méfiant des idées. Les faux-semblants d’une démocratie érigée en modèle ont pourtant été particulièrement critiqués par les plus lucides. On a loué abusivement ce sens civique et cette sagesse exemplaires qu’invoquent opportunément les politiciens quand les urnes ont donné des résultats conformes à leurs intérêts, c’est-à-dire, en général, à l’inverse de toute étincelle créative et utopique. Dans un petit écrit, La Suisse du Suisse (1969), Peter Bichsel (1935-) a su croquer de manière caustique le citoyen moyen que le pouvoir de l’argent frappe de cécité: «Nous sommes un pays aisé. La pauvreté est ici une tare, pour le moins on ne l’avoue pas et on facilite ainsi les choses aux riches. Mais d’ordinaire, la richesse est également chez nous discrètement dissimulée. L’argent est ici quelque chose d’intime, on ne parle pas de son argent.»

La deuxième moitié du XXsiècle est celle où s’expérimentent de nouvelles formes d’activité politique, non conventionnelles et socialement hétérogènes. Leurs enjeux ne se résument pas à gagner des droits fondamentaux comme au XIXsiècle ou à obtenir une distribution plus équitable des ressources comme durant la première moitié du siècle. Le dernier combat «classique» d’extension des droits politiques a sans doute été celui pour l’obtention du suffrage féminin au plan fédéral en 1971. Par ailleurs, les nouveaux mouvements ont une composante très largement culturelle, puisqu’ils mettent en cause des modes de vie. Le type d’actions menées par les militants des organisations écologistes illustre cette inflexion du débat public, mais nombreux sont les autres prétextes à la contestation. Qu’ils soient étudiants ou apprentis, ce sont les jeunes qui ont été les acteurs de toute une série de mobilisations dès les années 1960. Ils se retrouvent dans les grandes démonstrations anti-impérialistes contre la guerre du Viêtnam et protestent contre l’intervention soviétique à Prague en 1968. On assiste à la multiplication des actions politiques et à l’émergence de nombreux groupuscules: ceux-ci dénoncent l’impérialisme américain ou expriment leur soutien au peuple palestinien en lutte contre le «sionisme». Il s’agit en partie des retombées helvétiques des événements de mai 68 en France et des mouvements étudiants allemands et américains. Sans atteindre l’ampleur prise par les manifestations françaises, les mobilisations d’intellectuels dans les universités suisses contribuent à faire avancer le dossier de la démocratisation des études et la réforme de l’enseignement. Les étudiants protestent aussi contre le régime de ceux qu’ils appellent les «mandarins», à savoir les professeurs, considérés comme des potentats autoritaires.

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