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Les travaux de déboisement pour le projet de barrage ont commencé sur la zone du Testet dans la forêt de Sivens. Une ZAD s'est installée sur le site.© Frédéric Scheiber

ZAD comme… «zone à défendre» (1/3)

Les ZAD fleurissent en France. Après le barrage de Sivens et l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la ZAD du Testet, évacuée le 6 mars 2015, s'est imposée comme un autre symbole de ces nouvelles frondes écologistes.

C’est un tag qui a fleuri récemment dans les campagnes et sur les murs des villes françaises. Un sigle mystérieux, porteur d’une nouvelle forme d’activisme et de revendications: instaurer des «zones à défendre» (ZAD) partout et toujours. Avec pour seuls mots d’ordre: résister et saboter.

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Une ZAD s'est installée sur la zone du Testet dans la forêt de Sivens dès le début des travaux de déboisement pour le projet de barrage. Lisle-sur-Tarn, septembre 2014. © Frédéric Scheiber

Remettant en cause un modèle capitaliste et productiviste basé sur la croissance, les zadistes ont repris à leur compte le jargon administratif des urbanistes et des pouvoirs publics.

Sur un territoire préempté par les collectivités locales et transformé en «zone d’aménagement différé» (ZAD), ces nouveaux militants écologistes construisent des lieux de vie et de lutte collectives. La première ZAD française sort de terre, ou plutôt de la boue du bocage nantais, en 2008.

Les 36 zones les plus contestées en France (survolez ou cliquez sur les icônes pour découvrir l’histoire de chacune).

Au cœur des prairies humides de Notre-Dame-des-Landes, à l’ouest de l’Hexagone, près de Nantes, le projet de construction d’un aéroport international est un serpent de mer vieux de cinquante ans.

Mis en veille, relancé, puis de nouveau abandonné, il est exhumé des cartons au début des années 2000. Les agriculteurs locaux et les habitants s’y opposent. Organisés en collectifs, ils sont vite rejoints par les militants écolos qui pointent du doigt l’aberration environnementale et le coût monstrueux du projet.

Sur les 1’500 hectares de la ZAD, on ne trouve ni tarmac ni salles d’embarquement, mais des chicanes, des cabanes, des caravanes et des fermes réaménagées. Parallèlement aux divers recours juridiques engagés, certains ont décidé d’occuper le terrain pour mieux le protéger. Une ZAD est née.

Notre-Dame-des-Landes devient le fer-de-lance d’un mouvement contre les grands projets jugés inutiles et imposés par les autorités. Qu’il s’agisse du réacteur nucléaire de troisième génération EPR de Flamanville, de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin ou encore du Center Parcs de Roybon, de simples citoyens dénoncent à haute voix la destruction des terres agricoles et la dilapidation de l’argent public pour du bétonnage à tout prix.

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Des zadistes observent l'eau monter après de fortes pluies et se réjouissent des canalisations qu'ils avaient prévus afin d'évacuer l'eau vers le Tescou. Lisle-sur-Tarn, décembre 2014. © Frédéric Scheiber

Au Testet, point de chiffres démesurés ni de projet de très grande ampleur. A mi-chemin entre Toulouse et Albi et entourée de vignes et de cultures, la forêt de Sivens s’étale sur la commune de Lisle-sur-Tarn. Au milieu des frênes, des chênes et des saules, coule le Tescou.

Une frêle rivière destinée à alimenter le barrage dont la construction a été décidée par le Conseil général du Tarn. L’ouvrage nécessite la destruction des 19 hectares de la zone humide du Testet. Dix-neuf petits hectares qui sont pourtant d’une grande valeur écologique pour certains habitants de ce coin de nature du sud-ouest.

Ici aussi, le projet d’aménagement de la vallée est un vieux serpent de mer. En 1969 déjà, les paysans et les riverains avaient déjoué les plans des élus qui annonçaient avec perte et fracas la construction d’un grand barrage assorti d’un complexe touristique. Près de trente ans plus tard et sous couvert d’alimenter les besoins en eau d’agriculteurs locaux, une société d’économie mixte, la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG) relance l’idée d’une «retenue d’eau» au cœur de la forêt de Sivens.

Contestant l’absence de concertation et des conflits d’intérêts manifestes (la CACG qui est maître d’ouvrage a également été chargée des études préalables), une poignée de Tarnais s’organise. Sous le nom du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, ils alertent l’opinion publique, déposent des recours, demandent un moratoire. Rien n’y fait. En octobre 2013, un groupe d’opposants décide de s’installer dans la Métairie neuve, un corps de ferme abandonné à l’entrée de ce qui devient alors la ZAD du Testet.

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A l'entrée de la ZAD, côté Barat. Lisle-sur-Tarn, septembre 2014. © Frédéric Scheiber

La poignée de contestataires locaux est rapidement rejointe par des militants expérimentés et néophytes venus des quatre coins de la France. Des cabanes poussent alors dans les arbres menacés, un campement est établi à l’autre extrémité de la future zone de chantier. Expulsés en mai 2014, les «néo-zadistes» reviennent à la fin de l’été pour tenter d’empêcher l’arrivée des engins de chantier. Les travaux de déboisement débutent à l’aube du 1er septembre, sous la protection des forces de l’ordre et dans un contexte d’affrontements.

C’est cette étape décisive qui a poussé Flora, 20 ans, à se joindre à l’occupation. L’étudiante en communication originaire de Lisle-sur-Tarn avait jusque-là suivi de loin les péripéties du projet par l’intermédiaire de ses parents, très impliqués dans la lutte contre le barrage: «J’étais d’abord animée par un sentiment de révolte, et ensuite plus on y passe du temps, plus on y réfléchit. J’ai découvert qu’on pouvait dire non en construisant des choses, ou en faisant les clowns, pour montrer l’absurdité du projet et de la situation.» En vivant plusieurs semaines dans un campement d’irréductibles baptisé Gazad, elle a vu peu à peu la forêt de son enfance disparaître:

Ici-gît une forêt, ZAD du Testet, Lisle-sur-Tarn, le 17 septembre 2014 (Interviews de Flora et Merry).

«Ici, tout le monde s’appelle Camille», annonce-t-on d’emblée aux journalistes qui pénètrent sur la ZAD pour couvrir l’avancement des travaux de déboisement. Sous un soleil de plomb malgré l’arrivée imminente de l’automne, l’équipe de l’émission télé Groland s’avance à grands pas vers la Métairie neuve. En cette matinée du 17 septembre 2014, Noël Godin, l’entarteur, est venu soutenir les zadistes. Une poignée d’entre eux vient à la rencontre des trublions. «On va profiter du fait que vous soyez là pour faire une diversion et apporter de la nourriture aux copains situés au milieu de la zone et qui n’ont pas été ravitaillés depuis 24 heures», proposent-ils.

Un petit groupe contourne un cordon de gendarmes mobiles et avance de quelques mètres avant d’être bloqué. Pas une provision ne passera par ce chemin-là. Torse nu et bière à la main, les opposants s’assoient en tailleur sur les rives du Tescou, à l’ombre des arbres encore debout et dans le tintamarre des tronçonneuses. «C’est un carnage. Il y avait de la vie avant, mais là il n’y a plus rien», indique un jeune homme qui dit s’appeler Camille. «On pouvait se baigner dans le Tescou… Maintenant c’est rempli de gaz lacrymogènes», réplique aussitôt un autre Camille. «Enfin, Camille 31 si tu veux varier.»

Ce prénom unisexe et générique est brandi par les zadistes par souci d’anonymat et de non-personnalisation du mouvement. «Eux aussi, bientôt, ce seront de futurs Camille», s’esclaffe le premier Camille en montrant du doigt l’escouade de militaires venus les déloger de la zone de chantier. Un chantier de douze hectares, cerné de toute part par les forces de l’ordre du matin au soir. Seuls quelques zadistes obstinés sont présents sur la zone défrichée.

Pour les rencontrer, il faut montrer sa carte de presse aux militaires et marcher sur le bitume brûlant d’une ancienne route tapissée de copeaux de bois et meurtrie par les allers-retours incessants des camions de gendarmes mobiles et des engins de chantier. Dans un décor de film apocalyptique, des centaines de troncs d’arbres et de branches feuillues jonchent la zone humide.

Au loin, on distingue quelques taches colorées. Il y a quelques jours encore, le campement de Gazad était dissimulé par un petit sous-bois qui désormais n’existe plus. Quelques têtes échevelées sortent de la caravane et des tentes plantées sur cette parcelle encore non expulsable.

La petite bande d’irréductibles se réveille péniblement d’un petit matin mouvementé avec les gendarmes mobiles. Ces derniers ont forcé les cinq occupants à se retrancher dans la caravane pendant de longues heures. Ils se nomment Flora, Jim’s, Merry… Finalement, tout le monde ne s’appelle pas Camille. Ils ont entre 20 et 25 ans et cohabitent depuis deux semaines. En guise de petit-déjeuner, et à coups de grands éclats de rire, ils se préparent un plat de pâtes sous le regard d’une estafette de militaires qui veille au grain à quelques mètres.

«Check radio pour tout le monde», s’écrie Jim’s, talkie-walkie collé à la bouche. Le musicien nomade traîne sur la ZAD avec son tipi depuis un an. Passé par Notre-Dame-des-Landes auparavant, il s’est fixé un objectif: empêcher l’avancement des travaux.

Les premiers jours de septembre, il s’est enterré jusqu’au cou, obstruant ainsi le passage des machines. «Je me suis fait taper sur la gueule et j’ai pris des décharges de Taser, mais je suis encore prêt à en encaisser, explique-t-il. Cette cause est importante. Le mouvement ZAD amène la discussion sur des projets qui paraissent normaux au grand public, alors qu’avec un peu de réflexion on se rend compte qu’il y a un problème écologique majeur. On n’a pas la solution, mais on ouvre la discussion et c’est déjà une bonne chose.»

Son talkie-walkie résonne. La radio, qui d’habitude sert à informer sur les mouvements des forces de l’ordre, laisse échapper une question étonnante: «Je reviens sur la blague. Quel super-héros est le plus collant? A vous.» «On se renseigne chez les gendarmes», réplique un zadiste. La chute se fait un peu attendre: «Attention, la réponse est… Super glue.»

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Les travaux de déboisement pour le projet de barrage sur la zone du Testet dans la forêt de Sivens. Lisle-sur-Tarn, septembre 2014. © Frédéric Scheiber

Autour de Gazad, les mugissements des tronçonneuses et les craquements des arbres abattus se sont tus. C’est l’heure de la pause déjeuner. Un peu plus tard, les ouvriers reprennent du service.

Les zadistes, eux aussi, obéissent à un rituel quotidien. Chaque matin, ils escaladent les arbres qu’ils ont choisi de défendre et n’en redescendent que le soir venu. Sur le chemin du retour, des voix surgissent au milieu des branches: «Eh oh! Il se passe quoi en bas?» s’enquièrent les «grimpeurs». Ils sont ainsi une trentaine à incarner cette nouvelle forme d’occupation.

Les grimpeurs, ZAD du Testet, Lisle-sur-Tarn, septembre-octobre 2014 (Interview de Séverin).

C’est un chêne qui est devenu le symbole de la ZAD du Testet. Surnommé le Mirador en raison de sa vue imprenable sur toute la ZAD, il a accueilli Julien pendant 18 jours et 18 nuits d’affilée.

L’Alsacien a quitté son boulot de chef de rang dans les restaurants gastronomiques pour vivre sur un mode décroissant: «Quand tu fais quelque chose et que ça ne te plaît pas, tu cherches une alternative, et maintenant j’ai l’impression de vivre.»

Itinérant, mais sans permis de conduire, il se balade de communautés en ZAD. Il est arrivé à Sivens en février, et a vite été séduit par l’activisme du petit groupe d’opposants. «Le Testet, c’est l’adopter», badine le jeune homme de 29 ans qui a subi deux assauts du GIGN avant de descendre de sa plateforme de 18 mètres de haut. «J’ai choisi le Mirador parce que je ne pouvais pas en défendre 50, précise-t-il. Mais si on avait été 200 grimpeurs, ce sont 200 arbres qui auraient été épargnés.»

Julien, zadiste grimpeur, ZAD du Testet, Lisle-sur-Tarn, le 24 octobre 2014.

Le Mirador, le symbole de la ZAD, est tombé au début du mois d’octobre 2014. Sur la zone, les soutiens ne cessent d’affluer alors que les affrontements avec les forces de l’ordre se multiplient. La lutte est dans l’impasse.

Bien que plusieurs fois déboutés, les opposants ont décidé de poursuivre la bataille juridique. Les figures de l’écologie politique se sont emparé de la question en tenant des conférences de presse sur la ZAD tandis que le Premier ministre Manuel Valls assurait aux agriculteurs que le projet de barrage se concrétiserait…

Depuis l’évacuation de la ZAD en mars 2015 puis l’abandon du chantier quelques mois plus tard, la nature, bien qu’abîmée, a lentement repris ses droits sur le terrain. Des discussions doivent aussi être relancées sur l’avenir du site. Selon le protocole d’accord signé en décembre 2015 entre le Conseil départemental et l’Etat, mettant fin au projet initial du barrage de Sivens, «des mesures compensatoires relatives aux 13 hectares de zones humides détruites» ont été prévues.

Huit sites ont été identifiés pour leur biodiversité, mais pas celui du Testet où devait se construire la retenue d’eau. Une situation qui ne convient pas au groupe de militants. Sans réhabilitation de la zone humide de Sivens, ceux-ci n’entendent pas retourner à la table des discussions du projet de territoire.

Infographie réalisée par Amélie James, sept.info. Tous droits réservés.