Gabriel Monnet, lauréat de notre prix de photojournalisme

© Gabriel Monnet
Sébastien Maillard.

Pour sa première édition, le Prix Sept du photojournalisme suisse a rencontré un franc succès. Le Vaudois Gabriel Monnet est le lauréat de l'édition 2021. Second prix attribué à Théophile Bloudanis.

Pour sa première édition, le Prix Sept du photojournalisme suisse 2021 a rencontré un franc succès. Parmi la vingtaine de projets photographiques présentés à l’occasion de ce concours unique dans notre pays, le jury présidé par le photographe fribourgeois Bruno Maillard a choisi de récompenser le travail de Gabriel Monnet. Intitulé «92%», le récit de ce tout jeune photographe vaudois – il est né en août 2001 - narre l’extraordinaire et poignante histoire de Sébastien Maillard, gravement brûlé sur plus de 90% de son corps et qui a survécu grâce à la thérapie cellulaire. «Aller à l’essentiel, tel est le discours d’un storytelling photographique, explique Bruno Maillard. Notre jeune lauréat, Gabriel, a su tenir un discours qui ne se contente pas de digressions ou d’à-peu-près. Il tient, dans ce travail tout autant informatif que touchant, un langage fort et prégnant, maîtrisé et porteur, comme doit l’être un reportage photographique. Des moments que seul le regard du photographe aura su retenir, à sa manière, mais surtout de la manière narrative la plus ouverte possible.» En quatrième et dernière année d’apprentissage de photographe au Centre d’enseignement professionnel de Vevey (CEPV), Gabriel Monnet succède à Arunà Canevascini en 2017, Elsa Guillet en 2018 et Svetlana Holzner en 2019. Le prix n’a pas pu être remis en 2020 à cause de la pandémie de coronavirus. Rendez-vous d’ores et déjà en 2022 pour la prochaine édition

Premier prix: 92%

La vie de Sébastien Maillard se déroulait normalement jusqu’au 1er mai 2000 où tout a basculé. Travaillant dans un garage de Monthey, il fut chargé ce jour-là de réparer le réservoir à mazout d’un camion. De l’essence se mélange par erreur avec le mazout, et s’enflamme… 

Le médecin urgentiste Vincent Ribordy lui racontera par la suite comment il a réussi à l’intuber malgré le champ de bataille qu'était devenu son corps, gonflé et noir. Pris en charge par le professeur Wassim Raffoul, chef du Service de chirurgie plastique et de la main du CHUV, Sébastien restera une année et demi au Centre romand des grands brûlés de l'hôpital universitaire vaudois, dont cinq mois aux soins intensifs. Il sera plongé dans un coma artificiel durant les premières semaines pour qu’il puisse mieux supporter les lourdes et complexes chirurgies. La peau libérant des toxines qui circulent dans le sang, «il fallait enlever au plus vite les tissus morts et les remplacer par des peaux artificielles provisoires afin d'éviter que des microbes ne viennent infecter le patient», explique Wassim Raffoul. Sébastien a eu la vie sauve grâce au 8% de sa peau encore intacts. Les laborantines et laborantins ont en effet pu en prélever 2 à 3 cm2 pour recréer 13'000 cm2 de peau. Vingt-sept opérations ont été nécessaires pour poser les greffes, cent changements de pansements et autant de douches pour laver les plaies sous anesthésie générale. Sébastien est ensuite pris en charge par des physiothérapeutes qui l'aident à garder sa motricité. 

En février 2001, il se marie avec son amie Karine venue le voir tous les jours à l’hôpital. De leur union naîtront deux filles Katline et Emma. Puis Sébastien recommence un apprentissage d’informaticien qu'il termine en 2007, et trouve un place de travail au CHUV dans un bureau situé en face de celui du professeur Raffoul...

Deuxième prix: Des hommes y étaient

Le jury a également attribué cette année un deuxième prix à Théophile Bloudanis. Né en 1996, cet étudiant à l’Université de Neuchâtel suit les cours du Master en journalisme. Il propose un récit tout en nuance autour des installations militaires italiennes de l’île de Leros en Grèce qui datent des années 1930. «Ce que nous raconte Théophile est à la mémoire collective ce que le silence est au bruit ambiant, poursuit Bruno Maillard. Peu de choses, mais beaucoup à la fois, pas âme qui vive mais tant de présences perdues… C’est un petit tour de force que ce futur journaliste a su proposer dans ce concours dont la narration photographique est l’étendard. Des lieux, simplement, et leurs vestiges, leurs traces, leurs histoires non-dites, autant de pistes que nous pouvons explorer, à l’aune d’une mise en abîme historique que nous nous devons de faire actuellement plus que jamais.»

Rares sont en effet les promeneurs à emprunter les chemins perdus de l’île de Leros. Théophile Bloudanis les a parcourus pour découvrir et répertorier les vestiges d’un passé oublié depuis plus de 70 ans. «Comprendre aussi, me mettre à la place des hommes qui ont vécu ici, revivre leur isolement à ma manière, au travers de l’héritage qu’ils ont laissé sur cette terre d’exil», explique-t-il. Construites entre 1925 et 1939 sous le régime fasciste, les installations militaires italiennes sont désormais accessibles, à condition de supporter l’odeur des moutons et des chèvres qui y paissent. Les bâtisses qui abritaient soldats, armes et munitions résistent comme elles peuvent au vent, au soleil et aux tremblements de terre récurrents dans cette partie de la Grèce. A l’intérieur, des pierres, des herbes sèches et du crottin. Des peintures murales aussi, comme cette impressionnante reproduction du Repas de noces de Pieter Brueghel peinte par un soldat allemand, dont c’était le métier avant-guerre. Ou ce grand aigle noir tenant le symbole nazi entre ses serres qui hante l’ancienne station de communications radiophoniques italiennes à Lakki, principale localité de l’île, un imposant bâtiment flanqué de trois antennes gigantesques rouillées dont on se demande comment elles tiennent encore debout. Sous l’immense rapace encore menaçant, ces mots en lettres gothiques écrits au lendemain de la bataille de Leros en 1943: «Es gibt für uns nur einen Kampf und dann den Sieg.» (Il n’y a pour nous qu’un combat et ensuite, la victoire.) Jusqu’à l’automne de cette année-là, les Italiens, puis les Britanniques, avaient rendu l’île «imprenable». Les bombes déversées durant un mois par les Allemands ont eu raison des Alliés, de leurs systèmes de défense, de leurs infrastructures et du paysage, quasiment lunaire. Bien que fortement endommagés, certains bâtiments militaires seront réutilisés après guerre. Ainsi, en 1959, l’Etat grec, qui a récupéré dix ans auparavant l’île de Leros et le Dodécanèse, transforme notamment l’ancienne base navale italienne en hôpital psychiatrique pour malades mentaux et prisonniers politiques, dont les mauvaises pratiques sont dénoncées par les médias à l’aube des années 90. Au XXIe siècle, ce sont les migrants qui font la une et laissent leurs traces sur ce petit bout de terre de 53 km2.

Pour mémoire, le Prix du photojournalisme suisse de Sept.ch SA, la société éditrice du site de slow journalisme sept.info et du magazine-livre Sept mook, récompense celles et ceux qui aiment raconter des histoires à l’image de celles publiées sur sept.info et dans Sept mook. «Pour Sept.ch SA, ce prix est une suite logique de notre passionnante mission qui vise à redonner aux narrations de notre temps la place qui leur est due, souligne Patrick Vallélian, directeur de cette start-up spécialisée dans les longs formats. C’est aussi un signal fort adressé aux jeunes de ce pays qui souhaitent s’exprimer au-delà des codes de l’actualité.» 

Les projets primés ainsi qu’une sélection des projets en compétition seront exposés sur les murs du théâtre Nuithonie à Villars-sur-Glâne en février 2022. C’est également dans cette institution qu’aura lieu la remise des prix à l’occasion de l’inauguration de l’exposition.