Sept.info | Comment le crime organisé tire des bénéfices de la crise…
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Des barques qui ont servi à traverser la Méditerranée échouées au cimetière de Lampedusa © Carlo Alfredo Clerici

Comment le crime organisé tire des bénéfices de la crise des migrants (2/2)

En Sicile, la corruption est partout. Derrière les grilles du centre d’accueil de Mineo, les migrants sont exploités et retenus par les institutions mafieuses.

Le charme d'Ermias Ghermay semble être à l’origine de sa réussite. Il passe la plupart de son temps au téléphone avec des familles qui payent pour l’émigration de leurs proches, les rassurant concernant la sécurité, tout en leur rappelant gentiment le montant à payer. La question de l’argent est particulièrement sensible. Beaucoup d’Erythréens sont des enfants, souvent des tout-petits, recueillis dans des camps de réfugiés éthiopiens par des passeurs qui promettent un transport gratuit vers l’Europe où, selon eux, un enfant non accompagné obtiendra automatiquement l’asile – ils pourront établir une base où leur famille pourra les rejoindre ensuite. Une fois qu’on vient chercher l’enfant, la famille découvre qu’ils devront payer le transport: environ 1’400 euros (1’514 francs) pour atteindre la Méditerranée, et 1’400 supplémentaires pour la traversée. En attendant, l’enfant est retenu dans l’un des entrepôts de Ghermay. L’incroyable taux de succès rencontré par Ghermay lorsqu’il tente de trouver un accord dans des circonstances aussi tendues semble reposer en grande partie sur ses compétences de négociateur. D’après l’officier de police, son approche feutrée est dictée par la nature du commerce du trafic de migrants. «Ce n’est pas du vol, dit-il. Il s’agit de traiter avec des gens, et de gagner leur confiance. Ermias doit se montrer digne de confiance. Plus il l’est, et plus les gens viendront le trouver.»

L’approche de Ghermay envers ses colonels est tout aussi souple. Il les flatte en s’adressant à eux comme à des partenaires égaux. Ferrara explique qu’il a trouvé une série de conversations particulièrement instructive, entre Ghermay et un colonel soudanais. Le bateau qui a coulé au large de Lampedusa, un bateau de pêche de 96 mètres appelé La Girafe, faisait partie de la flotte de Ghermay. Dans les semaines qui ont suivi, l’Ethiopien a régulièrement parlé avec John Mahray, un Erythréen (ou Ethiopien) basé à Khartoum. Mahray avait envoyé 68 migrants sur les 366 morts. Lors d’un échange en particulier, ils tombent d'accord sur le fait que l’attention qu’a attiré le naufrage était injuste, étant donné le nombre d’autres navires ayant également coulé. «Beaucoup de gens servent à présent de nourriture aux poissons, déclare Ghermay, mais personne n’en parle jamais.» Ils se lamentent aussi de concert sur le nombre important d’appels téléphoniques – auquel ils ont dû répondre – des proches de victimes bouleversés suite au drame. Puis la conversation prend un tour plus sérieux. Selon Mahray, le vrai problème avec un naufrage, c’est que c’est mauvais pour les affaires – cela fait peur aux gens. Ils refusent alors de voyager ou, s’ils le font, c’est en choisissant d’autres entrepreneurs. Ghermay doit faire attention à ne pas contrarier davantage de clients, selon Mahray, et il lui recommande de suivre des règles simples – que Ferrara a baptisées «les 10 commandements des passeurs». «Ne jamais sortir par temps orageux, explique Mahray, vous ne voulez pas donner à vos clients des raisons de se plaindre.» Il ajoute que, selon lui, Ghermay ne devrait jamais mettre plus de 250 personnes sur le même bateau gonflable, et il ne devrait jamais forcer les gens à embarquer contre leur gré. «C’est comme quand vous avez un groupe de personnes vivant sous le même toit et qu’il y en a un qui salit la salle de bain, détaille Mahray. Tout le monde en pâtit, sauf celui qui a sali la salle de bain.» Ghermay se montre docile. Mahray en sait tellement plus que lui sur les affaires, avoue-t-il. Tout ce que Mahray dit a du sens. «Si je dois changer quelque chose dans ma façon de travailler, il faut me le dire», répond Ghermay, qui ajoute que Mahray doit comprendre qu'il ne met pas la pression aux migrants, c'est plutôt l’inverse: ils lui demandent tous de les laisser embarquer sur le premier bateau disponible.

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