Mark Henley Mark Henley
© Mark Henley, Swiss Press Photo

«Les conditions de travail sont très dures»

Le constat du photographe de l'année 2014 Mark Henley est sans concession: «Les journaux économisent d’abord au niveau de l’image. Le Time Magazine ne paie plus que 200 dollars pour une photo! Les photographes de presse sont une espèce en voie de disparition».

Et le photographe suisse de l’année 2014 est… Mark Henley est récompensé pour ses images des négociations autour du nucléaire avec l’Iran à Genève. C’est la deuxième fois qu’il remporte le Swiss Press Photo il avait déjà gagné en 2011 pour ses photographies sur les banques suisses. Sept.info met en ligne son interview parue dans le catalogue du prix.

C’est la deuxième fois que vous remportez le Swiss Press Photo. N’y a-t-il pas d’autres bons photographes en Suisse?
Bien au contraire, il y a de nombreux bons photographes en Suisse!

Comment se fait-il que vous gagniez à nouveau?
Vous devez poser cette question au jury. Mais tout photographe de presse qui a réussi à survivre en Suisse jusqu’à aujourd’hui est un bon photographe, et mériterait de gagner un prix.

Pourquoi?
Les conditions de travail sont devenues très dures. Les journaux économisent d’abord au niveau de l’image. Le Time Magazine ne paie plus que 200 dollars pour une photo! Les photographes de presse sont une espèce en voie de disparition.

Les rédacteurs en chef rappellent constamment l’importance capitale de l’image.
Je connais un journal qui veut mettre en place un nouveau concept multimédia sur son site internet. Connaissez-vous son budget photo? Zéro franc. Il se fournit auprès des agences.

Les 20'000 francs du prix Swiss Press Photo devraient donc vous permettre de survivre, jusqu’à ce que vous remportiez le prix suivant?
Cet argent est sans aucun doute une aide bienvenue. Il est vrai qu’aujourd’hui les bourses, les prix et le crowdfunding jouent un rôle plus important pour de nombreux photographes.

Pourquoi vous êtes-vous rendu à cette réunion sur le nucléaire iranien à Genève, qui, finale­ment, vous permettra de gagner le Swiss Press Photo?
L’aspect visuel n’est pas forcément au premier plan lors des conférences internationales. 
L’ONU m’intrigue. Je prends régulièrement des photos à l’ONU depuis que ma famille et moi avons déménagé de Zurich à Genève, il y a deux ans et demi.

Au cours de la réunion sur l’Iran il ne s’est rien passé pendant plusieurs jours, alors vous vous êtes mis à prendre en photo des journalistes, des caméramans et des gardes du corps. Qu’y a-t-il de si original dans l’image de deux journalistes épuisés, affalés sur un canapé rouge?
J’aime beaucoup cette photo. En raison des lignes et de la couleur rouge. Je m’intéresse au quotidien. Celui des ouvriers chinois, ou celui des journalistes à Genève. Les deux subissent des pressions.

Finalement le sujet de vos photos c’est moins le programme nucléaire que les journalistes?
D’une certaine manière, oui. Ce qui est par exemple très intéressant, c’est que durant la première ronde de négociations, nous pouvions nous entretenir librement avec les journalistes iraniens. Lors qu’au cours de la seconde ronde de négociations, ils sont devenus presque muets. Ils ont très clairement reçu la consigne d’en haut: ne parlez pas aux journalistes occidentaux!

Et comment ça s’est passé avec la journaliste au foulard et à l’ordinateur portable? Pouviez-vous lui parler?
Non elle était très occupée. Elle devait prendre l’antenne quelques minutes plus tard. Elle travaillait pour une chaîne en langue espagnole en Iran. Très exotique.

Vous placez la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères, Catherine Ashton, en arrière-plan et un garde du corps au centre.
Ils étaient très présents à Genève, l’accès aux médias ayant été fortement limité pour des raisons de sécurité. C’est l’une des raisons pour lesquelles John Kerry, le secrétaire d’État Américain, a pu deux fois se déplacer à Genève à très courte échéance car il savait que la sécurité allait être assurée.
 Cela n’est possible qu’en peu d’endroits du monde.

Est-ce qu’il ne serait pas plus intéressant de photographier des gens en Iran, plutôt que de prendre en photo des journalistes iraniens à Genève?
Cela dépend de l’histoire qu’on veut raconter. En 20 ans j’ai pris des photos dans cinquante pays. Je n’ai plus vraiment envie de parcourir le monde, mais plutôt de prendre des photos devant chez moi.

Pour quelle raison?
Du fait des changements économiques intervenus dans ce métier. Et j’ai connu assez de chambres d’hôtels miteuses loin de ma famille. De plus, photographier le monde devant le pas de ma porte représente un certain défi. C’est pour cette raison que j’ai fait ma série sur les banques alors que nous habitions à Zurich. Le Paradeplatz était à cinq arrêts de tram de notre appartement.

Ce qui vous a permis de remporter le prix Swiss Press Photo une première fois, il y a deux ans.
Et maintenant que nous habitons à Genève, c’est le bâtiment de l’ONU qui se trouve à cinq arrêts de tram de notre appartement. Prenez par exemple la photo de la journaliste au voile et à l’ordinateur portable. J’aurais été prêt à traverser le désert pour cette photo-là! Ou encore le cliché du porte-parole de l’UE, qui donne une interview entouré de journalistes! On dirait la Cène de Léonard de Vinci. Or j’ai pu réaliser ces deux photos à deux pas de chez moi.

En Asie vous preniez des photos de gens ordinaires et de leur lutte au quotidien. Avec la série sur les banques de la Paradeplatz à Zurich ou avec les négociations internationales à Genève, vous avez totalement changé votre perspective, pour vous concentrer sur le monde artificiel des élites. Ne trouve-t­on plus de gens normaux en Suisse, n’y a-t-il plus de scènes de la vie quotidienne?
C’est une question ridicule. Evidemment que si! Je cherche des sujets qui n’ont pas encore été explorés. Pendant des années, j’ai photographié comment les gens dans le monde géraient les conséquences des bouleversements globaux. Cela représente une évolution logique pour moi de vouloir photographier les gens et les processus qui amènent ces changements. Et donc aussi la Suisse, en tant que plus grande plateforme financière offshore au monde. Ou encore l’ONU à Genève, dont les photos des grandes conférences ne sont que des photos d’agence.

C’est assez arrogant à l’encontre des photographes d’agence qui fournissent les photos d’actualité.
Mais pas du tout! Ce sont des photographes extraordinaires! Ils subissent une pression énorme, en devant réaliser à la seconde décisive le cliché de presse parfait, net et avec la bonne lumière. Le Swiss Press Photo fut justement attribué à un photographe de Keystone l’année passée. Mais les photographes d’agence doivent travailler à une vitesse qui leur laisse très peu de temps de réflexion pour leurs clichés.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment?
Je prends des photos de la Conférence du désarmement. Depuis plus de quinze ans elle siège à l’ONU pratiquement toutes les semaines, sans qu’il n’y ait eu d’avancée réelle. C’est complètement fou. J’ai déjà beaucoup trop de photos. C’est comme pour les réunions sur le nucléaire iranien: c’est le processus en cours qui me fascine.

Et avec ce sujet vous espérez remporter une troisième fois le Swiss Press Photo?
Cela n’arrivera pas. La foudre ne frappe jamais trois fois au même endroit.

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