Bousquet, maître d'œuvre de la surveillance généralisée (3/5)

Sous le régime de Vichy, la surveillance devient un outil politique de première importance. Un homme particulièrement zélé, désigné par le gouvernement, va en assumer la supervision. Son nom: René Bousquet. Tiré des Conversations secrètes sous l'occupation.

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René Bousquet (à gauche) aux côtés de Laval et Pétain devant l'hôtel du Parc à Vichy en 1943.© DR

Fils d’un notaire radical de Montauban, René Bousquet, né en 1909, fait ses études secondaires dans sa ville natale. Son père est très lié à Irénée Bonnafous, franc-maçon et fondateur de La Dépêche. Le directeur du journal a embauché un ami de la famille Bousquet, Maurice Sarraut dont le frère Albert Sarraut est député de l’Aude dès 1902. Violemment anti-communiste, ce dernier sera ministre de l’Intérieur de Poincaré de 1926 à 1928 avant de prendre le poste de ministre de la Marine. Ce sera le parrain spirituel de Bousquet.

Grâce aux relations de son père, René Bousquet prend le poste de chef de cabinet du préfet de Tarn et Garonne et lâche ses études de droit. Il a vingt ans, Albert Sarraut suit avec intérêt le nouvel homme à tout faire de son préfet. Le dimanche 2 mars 1930 une inondation catastrophique lui donne l’occasion de faire preuve de son courage. Au péril de sa vie, Bousquet sauve des dizaines d’habitants de Montauban à l’aide d’une frêle embarcation. Bousquet est fait chevalier de la Légion d’Honneur et il part à Paris pour prendre le poste de chef du secrétariat particulier du sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur Marcel Héraud. Sa carrière est lancée.

Il rempile dans les mêmes fonctions auprès de Pierre Cathala, démontre ses talents d’administrateur et s’initie aux arcanes du ministère de l’Intérieur. En 1932, il dirige un organisme d’aménagement dépendant de la Sûreté. Albert Sarraut, redevenu ministre de l’Intérieur, veille sur son protégé qui, après un passage à la police du Territoire et des Etrangers, est nommé en 1936, chef du Fichier Central que la Sûreté nationale vient de créer. Il découvre là un organisme tentaculaire, une vaste bureaucratie, héritage de la Grande Guerre. C’est en effet dès 1912 que la IIIe République, confrontée à la montée des périls crée un fichier de suspects sous forme d’un répertoire général appelé Carnet B alimenté par les préfectures, les brigades de gendarmerie, les états-majors de corps d’armée. Il est subdivisé en trois groupes: les étrangers soupçonnés d’espionnage, les Français soupçonnés d’espionnage et, troisième groupe, rajouté par Clémenceau, les personnes dont les idées (anarchistes, objecteurs de conscience) peuvent mettre en péril l’ordre républicain. L’existence du Carnet B est gardée secrète. C’est également en 1917 que le gouvernement crée la carte d’identité, obligatoire pour les étrangers résidant en France.

La Sûreté nationale s’active à développer les fichiers d’étrangers et les délinquants: pour ces derniers, le service des recherches judiciaires centralise 9'000 dossiers en 1914 et 600'000 en 1921. Avec le développement de l’immigration étrangère on comptabilise 750'000 dossiers d’obtention de cartes avec une croissance de 35'000 nouveaux dossiers chaque mois. En quelques années, les dix pièces du 7, rue Cambacérès, sont saturées du sol au plafond.

Auprès de Charles Magny, directeur de la Sûreté, il s’initie aux techniques policières, et notamment à l’usage des fichiers et des interceptions, ayant pour mission de réorganiser le fameux fichier central de la Sûreté: fichier alphabétique, fichier mécanographique, archives générales, dossiers des étrangers expulsés, dossiers des interdits de séjour, dossiers des évadés recherchés. En quelques mois, Bousquet abat un travail considérable, il constitue d’abord un fichier modèle concernant les entreprises; pour la première fois, la police dispose d’un fichier mécanographique à trous, des machines à écrire spécialisées sont commandées à l’entreprise américaine Elliott Fisher. Un système de consultation des fichiers par téléphone est mis en place ainsi qu’un monte-charge électrique. Pour désengager le service, le ministère acquiert un nouvel immeuble dans la rue des Saussaies.

En 1936, Max Dormoy, ministre de l’Intérieur demande des nouvelles augmentations pour son budget qui a déjà connu une croissance de 27% en deux ans. Il les justifie par la présence de «trois millions d’étrangers sur le territoire national». Le gouvernement prend un Décret-Loi le 2 mai 1938 qui prescrit aux commissariats et aux mairies de tenir en permanence un fichier des étrangers. Ce fichier sera plus tard un outil de première importance pour la police de Vichy et l’occupant allemand. C’est à l’initiative de Bousquet qu’un Décret-Loi du 18 novembre 1939 prévoit un internement administratif sans décision de justice des individus «dangereux pour la défense nationales ou la sécurité publique» qui seront mis dans des «camps de concentration», une expression nouvelle.

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