Les frères vivaient à trente minutes en voiture de Lausanne. Leur ferme était située à deux cents mètres d’une autoroute et c'est là qu'ils passèrent toute leur vie. C'était en 1985. J'étais en reportage pour le Sillon romand. Marchant avec une amie dans la campagne recouverte de neige, je vis leurs silhouettes qui se détachaient sur l'horizon. En m'approchant, je les devinais d'un autre monde. J'eus envie d'entrer chez eux et je découvris alors, stupéfait, leur univers fabuleux. Très vite, un climat de confiance s'établit entre nous, et nous sommes devenus des amis. Durant plusieurs années, j'ai partagé des parcelles de leur vie. J'aimais être avec eux et nous vivions de bons moments ensemble. Ils n'aimaient pas me voir partir. Quand je revenais les voir, que je frappais à la porte de la grande chambre, j'éprouvais toujours une grande émotion, comme si j'entrais dans un théâtre. Je m'asseyais, je les regardais, je les écoutais. En pensant au monde d'aujourd'hui, je me disais qu'on avait sans doute perdu quelque chose que je retrouvais ici: le calme, le temps arrêté. J'ai toujours été impressionné à la fois par leur dénuement et par leur bien-être.

Louis avait été surnommé par son entourage «L'Est et l'Ouest», à cause de son caractère un peu vagabond. Parfois, il mettait son chapeau de côté et racontait des histoires incroyables, en faisant de grands gestes. Il était malicieux aussi. Parfois, je lui posais des questions:
- L'Ouest, pourquoi ne parlez-vous pas ensemble?
- On n'a pas le temps.
- Vous pensez quoi de la guerre du Golfe?
- Ça durera pas! Ça coûte trop cher.

C'était ainsi chaque fois!