Pujol Marseille Pujol Marseille
Installées face à la Méditerranée par la société Netflix pour promouvoir sa série Marseille, les lettres du panneau façon Hollywood ont été initialement volontairement lézardées pour illustrer les fissures de ses bâtiments, sociales et politiques.© Georges Seguin

Petites magouilles entre riches à Marseille (1/2)

Depuis une décennie, Philippe Pujol se plonge dans Marseille, sa ville. Dans son dernier livre La chute du monstre, il en livre un portrait peu reluisant mais bien réel. A commencer par son port.

De grandes lettres blanches frappées par un soleil agressif aveuglent le regard trop insistant: à l’entrée nord de la ville, sur une butte sans végétation juste au‑dessus du port de commerce, les neuf lettres de 13,70 mètres de haut plantent le décor d’une métropole ambitieuse tournée vers un destin flamboyant, hollywoodien. Mais si l’on observe bien, si l’on soutient le regard, on verra que le géant Netflix qui a fait de cela une publicité pour sa série, même si le contenu était discutable (j’ai été l’un des scénaristes de la saison 2), eh bien ces Américains avaient tout de même saisi un élément déterminant de la situation de la ville: elle se fissure. Car, hormis la première jambe du M de Marseille, toute la typographie de l’ensemble est faite de lettres qui se lézardent. Il y a donc eu un coup de pinceau blanc ordonné pour atténuer l’effet fissuré voulu par les Américains, comme on refait les façades des immeubles branlants du centre‑ville de Marseille. Le symbole est parfait. La métropole a trouvé là son totem. On le voit de la mer, on le voit des airs, il est à la gloire des années Gaudin et de tous ses rejetons.

L’autre grande fierté des Marseillais est son Vieux‑Port, incontestablement magnifique depuis qu’en ont été retirées les barrières qui l’enserraient depuis tant d’années. On y entre voile pliée depuis le large avec sur la gauche le formidable fort Saint‑Jean réhabilité par les équipes de l’ami de Jean‑Claude Gaudin, Roland Carta autre architecte du Mucem avec Rudy Ricciotti. Rudy aime à rappeler: «Roland, c’est mon antivirus.» Sans lui, le projet ne passera pas, il le sait. Le résultat est un succès presque unanime. Juste en face, sur l’anse du Pharo, le navigateur a longtemps été accueilli par l’épave d’un bateau tagué comme à l’entrée d’une cité sensible. Un vestige des Pipolo abandonné et à moitié brûlé. «Pendant quarante ans, jusqu’en 2009, le clan des familles Pipolo et Crescioni a régné en maître absolu sur le juteux marché du transport maritime entre la cité phocéenne et les îles du Frioul et du château d’If. L’accusation parle d’un “empire mafieux” fondé sur “des pratiques terroristes à l’égard des concurrents”», ainsi qu’on peut le lire dans Le Parisien du 5 octobre 2009. Laissons les détails et réjouissons‑nous que dix ans plus tard ce navire saisi, récupéré par un homme de paille puis ressaisi, ait enfin fini par être enlevé. Il n’en est pas de même pour les tas de gravats qui grossissent un peu plus loin près du fort Ganteaume en s’approchant de la capitainerie. Des dépôts sauvages en plein centre d’une ville vidéo-surveillée. Le visiteur adore, un peu de gravats sur le nerf optique. «C’est Marseille!» entend‑on souvent comme une nouvelle petite dose de honte. Et heureusement que ce même visiteur ignore les dépôts sauvages de gravats dans le Vieux‑Port même, dans l’eau, juste au bout du quai Marcel Pagnol, exactement là où se trouve la capitainerie. Les bateaux qui embarquent ici marchandises et véhicules vers le Frioul s’y cassent les hélices. Alors discrètement, sous l’œil morne des caméras de la Ville, on fait venir une pelleteuse pour débarrasser le fond de tout ça, sans en faire étalage, sinon il faudrait mettre des barrages flottants antipollution, et ça ferait perdre un temps fou. Et au rythme où les gravats reviennent!

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