Laurent Sciboz Laurent Sciboz
Les pilotes de ballon Laurent Sciboz, à gauche, et son coéquipier Nicolas Tieche, à droite, de l'équipe Fribourg Challenge avant le départ de la 61e Coupe aéronautique Gordon Bennett à Gruyères, en septembre 2017. © Keystone / Valentin Flauraud

«L’important, c’est le voyage»

Laurent Sciboz, avec son compagnon de vol Nicolas Tièche, est champion du monde de ballon à gaz et détenteur du plus long vol en compétition de l’histoire. Or, ce que ce Fribourgeois cherche dans la compétition, c’est avant tout la liberté. Une liberté qu’il aime partager à travers ses photographies à la fois poétiques, rares et émouvantes.

Voler en ballon, ça je peux comprendre, mais pourquoi ce besoin de compétition qui vous a amené, avec votre compagnon de vol Nicolas Tièche, à battre lors de l’America’s Challenge 2017 le record du monde de distance parcourue avec un ballon à gaz et à remporter en 2019 la Gordon Bennett, le championnat du monde de longue distance en ballon à gaz?
En soi, la compétition ne m’intéresse pas plus que cela. C’est grisant bien sûr de gagner une course, de battre un record et d’être sur le devant de la scène, mais pour moi, l’important dans ce sport et ces vols de longue durée, c’est le voyage. La Gordon Bennett par exemple, nous ouvre le ciel dans une liberté totale. Depuis sa création en 1906, les règles de cette épreuve annuelle sont simples: il faut voler le plus loin possible pour l’emporter. Le contrôle aérien des pays que nous traversons nous accompagne, nous guide et nous ouvre la voie. C’est cette liberté de vol absolue que je recherche.

Parce que vous n’êtes pas libre de voler là où bon vous semble, en général?
Pas vraiment. En temps normal, nous devons continuellement négocier avec les autorités civiles ou militaires de chaque pays concerné pour obtenir l’autorisation de traverser leurs espaces aériens. La plupart du temps, elles nous bloquent le passage. Les contrôleurs aériens, occupés à gérer le trafic régulier, ne nous voient pas débarquer sur leurs écrans d’un bon oeil, car ils doivent en plus prendre en charge un truc rond avec une nacelle et un ballon de 1’000 mde gaz qui va là où le porte le vent et dont les trajectoires peuvent couper celles des autres usagers du ciel. 

Donc, vive la Gordon Bennett!
C’est en tout cas la seule occasion dans l’année où nous sommes en quelque sorte prioritaires et pouvons traverser l’Europe à notre rythme et dans la direction que nous souhaitons. Et c’est surtout l’unique moment où nous pouvons voler quatre jours et quatre nuits sans nous poser. Les pilotes de ballon à gaz en compétition sont d’ailleurs les seuls à pouvoir tenir en l’air aussi longtemps dans un espace aussi grand, avec pour seule limite les mers et les océans.

Des vols qui ne seraient pas non plus possibles sans sponsors. On a tendance à oublier qu’un ballon à gaz coûte plus de 100’000 francs…
La compétition attire les médias et donc les sponsors qui nous permettent de pratiquer notre sport. Autour de nous gravite aussi un collectif d’une vingtaine de personnes, des météorologues, des ingénieurs, des spécialistes en communication qui travaillent en temps réel depuis Fribourg. Ils nous conseillent, nous guident, nous proposent des options de vol, des altitudes. Ils cherchent pour nous les meilleurs vents, les bonnes routes, celles qui vont nous mener à la victoire. Lors de l’America’s Challenge en 2017, nos spécialistes météo nous ont par exemple montré la voie pour profiter d’une tempête tropicale qui nous a permis de filer à 100 km/h au ras du sol vers le nord depuis notre lieu de décollage à Albuquerque, au Nouveau-Mexique. Il y a certes un facteur chance dans une victoire ou un record, mais aussi et surtout beaucoup de savoir-faire, de connaissances et une équipe soudée au sol comme en l’air.

Vous volez une centaine d’heures à l’occasion de ces vols longue durée… Un sacré exploit!
Tout à fait. C’est une expérience unique. Aucun pilote de chasse ou d’Airbus ne vole aussi longtemps par exemple. Je doute également qu’un pilote d’Airbus accepte de travailler dans les conditions très spartiates de votre ballon… Effectivement. Nous vivons à l’air libre et dans le froid, surtout quand nous dépassons les 6’000 mètres d’altitude. Nous souffrons du manque d’oxygène. Et puis, nous vivons à deux dans un espace très exigu, une nacelle en osier d’un mètre carré. Il faut apprendre à se supporter et à se respecter pour aller le plus loin possible. C’est le cas avec mon copilote Nicolas Tièche avec lequel je m’entends très bien. Nous avons besoin de peu de mots pour nous comprendre. En vol, nous savons exactement ce que nous devons faire. Les automatismes sont importants dans notre sport et nous nous faisons entièrement confiance. Ces conditions sont vitales avec 1’000 m3 de gaz au-dessus de la tête et un ballon dont nous poussons les performances au maximum. Autant vous dire qu’à la fin d’un long vol, nous sommes littéralement sur les genoux, tant la concentration est intense. Mais quel plaisir, quelle aventure!

Justement, comment se passe un vol de longue durée?
C’est une mécanique bien huilée. Nous n’avons d’ailleurs pas le choix. L’espace vital est minuscule et nous devons le partager avec nos ordinateurs, nos systèmes de communication, nos bonbonnes d’oxygène pour ne pas mourir asphyxiés en haute altitude, des habits chauds parce que la température peut descendre à -20° degrés Celsius, de la nourriture pour quatre jours, des sacs de couchage et des sacoches de sable pour piloter l’engin…

Concrètement, comment dormez-vous durant ces compétitions qui durent plusieurs jours?
Pour nous donner un peu de place dans notre nacelle, nous l’ouvrons sur un côté et nous sortons nos pieds dans le vide. Vous vous en doutez, il est important de bien dormir durant quatre jours et quatre nuits de compétition, surtout dans de telles conditions. Ensuite, et c’est une évidence, nous ne dormons pas en même temps puisque le ballon doit toujours être mené par un pilote. Dès que l’un de nous deux se sent prêt à dormir, il le fait. L’autre reste éveillé le temps que le premier se repose. Généralement, nous dormons 4 heures sur 24 heures avec une tranche de deux heures et des fractions d’une heure et de 30 minutes selon les moments. La bonne condition physique, l’entraînement régulier par exemple au manque de sommeil, nous permettent d’être performants, en particulier au moment de l’atterrissage, une phase très délicate dans nos compétitions, ou de suivre précisément les indications des contrôleurs aériens durant le vol. Toute mésentente peut coûter la vie à l’équipage, surtout dans le trafic actuel si dense. Si le contrôleur sent que nous sommes fatigués, s’il constate que nous avons du mal à répondre à ses questions ou à suivre ses indications, il peut à tout moment nous ordonner de nous poser… Une question de sécurité pour nous, mais aussi pour les autres objets volants identifiés de notre ciel. C’est lui qui nous protège. C’est notre ange gardien. Surtout la nuit.

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