Ce sont des images qui parlent de pauvreté et de douleur, de violence et de noirceur. Ce sont des images qui disent la crise. Celle que la Grèce, pays de l’Union européenne, subit depuis quatre ans. Fin 2012, le photographe Francesco Anselmi (29 ans) s’y installe. Il travaille pour l’agence italienne Contrasto. «Les clichés qui paraissaient dans les médias me semblaient ne traduire que les affrontements dans les rues, se souvient-il. J’avais envie, de mon côté, de couvrir plus profondément la détresse de la Grèce.» C’est ainsi que l’Italien s’est lancé dans son premier grand projet photographique.
Avez-vous choisi vous-même de vous intéresser à la Grèce ou s’agissait-il d’un mandat confié par l’agence Contrasto?
Non, c’est moi qui ai pris cette décision. Bien sûr, nous en avons discuté entre collègues. Cependant, nous ne fonctionnons pas comme une agence de photographes de presse traditionnelle. Nous couvrons ce que nous voulons.
Combien de temps êtes-vous resté en Grèce?
Sept mois. Et désormais, je continue à faire des aller-retour.
Comment vous y êtes-vous pris pour vous immerger dans le pays?
J’y ai déménagé en octobre 2012. Je me suis rapidement fait quelques contacts au sein de la police. J’ai obtenu l’autorisation d’accompagner des agents pendant une journée. Par chance, un capitaine était présent. Il m’a proposé de revenir quelques jours plus tard. Il m’a ouvert de nombreuses portes. Finalement, j’ai suivi le travail de la police pendant deux semaines. En quelque sorte, j’étais un photographe embarqué.
En quoi cette expérience était-elle particulière?
Elle était intéressante dans la mesure où l’une des patrouilles que j’ai suivies avait été constituée peu auparavant. Elle avait pour mission de traquer l’immigration illégale. Sa création répondait aux craintes croissantes de la population, mais elle était aussi facilement associée à la montée de l’extrême droite. Cette étiquette a débouché sur de nombreux problèmes: l’unité était notamment accusée d’entretenir des liens avec le parti Aube dorée.
Plus que des agents de police, vos photos traduisent la dureté du quotidien…
Oui, car c’est vraiment la vie de la population qui m’intéressait. Pour capter ces scènes de vie, j’ai beaucoup déambulé dans les rues: ce sont elles qui permettaient de comprendre combien le pays était déchiré par les mesures d’austérité.
Comment, par exemple?
A travers la présence au grand jour des drogués. Elle trahissait la disparition de structures d’accueil qui existaient auparavant, mais qui ont été parmi les premières à faire les frais de la crise financière. Il y avait aussi un nombre considérable de personnes qui avaient perdu leur foyer.
Y a-t-il, pendant votre séjour, un moment qui vous a particulièrement choqué?
Ce que j’ai vu m’a choqué de manière générale. J’avais du mal à me faire à l’idée qu’un pays d’Europe, ce continent qui porte haut les droits de l’homme, puisse tomber si bas. Et puis, il y a eu cette femme qui est morte devant moi. C’était une sans-abri, elle souffrait d’une infection du sang. Deux heures quinze se sont écoulées entre le moment où l’ambulance a été appelée et celui où elle est arrivée. La femme était décédée depuis vingt minutes. Cela démontre à quel point les institutions publiques étaient devenues inopérantes. Même les soins d’urgence n’étaient plus assurés. Vous pouviez le voir, et même le toucher.