Sept.info | Point de vue d'un enfant de la balle

Point de vue d'un enfant de la balle

En hommage à sa maman décédée le 6 août 2024, son fils Jean-Benoit Lévy revient sur son enfance baignée dans la photographie et le monde des artistes.

Monique Jacot Monique Jacot
Monique Jacot photographie une petite fille au bord du Léman.  © DR / Collection famille Monique Jacot

Une odeur de vinaigre. Un bruit d’eau qui coule. Une étrange lumière ambiante rouge, orange, ou jaune qui fait que toute autre couleur semble atténuée. Dans le bac, sur le papier blanc qui s’imbibe de révélateur, du vide, et tu attends. Un doute passe. S’il n’y avait rien? Puis, sur la feuille blanche qui flotte, doucement, quelque chose semble apparaître. Ce sont les premières formes d’une photographie qui prennent leur place.

Enfants, nous étions souvent inclus dans le travail de nos parents, alors tous les deux photographes. C’est ainsi qu’avec mon père, j’ai pu aller me poser en avion sur un glacier, pour une photo publicitaire pour de la bière, ou assister — plus qu’attentif — à une prise de vue en contre-jour dans un pierrier d’une modèle nue, debout sur un rocher, tenant entre ses mains une bouteille de parfum.

Mais c’est avec notre mère que nous avons pu observer de plus près la chaîne du long processus qui consistait à planifier, prendre, développer, choisir, et finalement, faire publier un reportage. Se lever tôt, aller se coincer dans sa voiture, l’aider à porter son sac de matériel.

Pouvoir l’accompagner dans un festival de musique, et ne pas devoir s’arrêter aux barrières délimitant les zones interdites au public, passer la sécurité et enfin découvrir les coulisses, se glisser sur la scène d’un théâtre pour la voir pouvoir s’approcher de gens célèbres, parler à un acteur, s’approcher des musiciens, pouvoir guigner derrière la caméra sur le tournage d’un film, au cirque, rentrer dans la roulotte d’un clown, savoir se rendre utile, reconnaître le bon film, lui tendre une nouvelle bobine, connaître la différence entre du 100 ou du 400 ASA, pouvoir mettre le film utilisé à l’abri, au bon endroit dans le bon sac, rester poli et discret, se glisser ici ou là, ne pas se mettre dans l’angle de la caméra, être toujours présent, mais surtout, être invisible et rester hors de l’image. Couleur ou noir et blanc?

Doucement agiter le papier dans le bain pour être sûr qu’il soit bien imbibé. C’est pour que toute l’image soit bien régulière. Déjà les contours, l’esquisse d’un contenu. Tu essayes de deviner le reste. Le temps d’en parler, les premiers demi-tons sont apparus. Entre le début, au moment où la feuille est rentrée dans le révélateur, et l’apparition complète d’une photo, à peu près trois ou quatre minutes ont passé. J’imagine que c’est à ce moment-là que tu sais vraiment si ton image est bonne ou non.

A la maison, souvent, il y a eu des visites de copains artistes. Sculpteurs, gens de théâtre, musiciens. Moi j’aimais bien ceux qui nous chantaient des chansons à la guitare pour nous endormir. Et puis bien sûr, il y avait les photographes. J’adorais les visites de Jeanloup Sieff, un photographe de mode alors très connu à Paris, qui conduisait la même auto que James Bond, une Aston Martin. A chacune de ses visites, il nous présentait une nouvelle petite amie. J’ai compris plus tard que c’était des mannequins, et pourquoi elles étaient toutes plus jolies les unes que les autres.

Une fois, j’ai pu accompagner Monique dans sa petite voiture jusque dans un coin perdu d’Espagne appelé Cadaqués, pour photographier un artiste bizarre qui portait de longues moustaches et que je n’avais surtout pas le droit d’aller déranger. Son nom était Salvador Dali, mais ma mère l’appelait «Maître».

Un autre jour, ma sœur et moi avons été invités par un artiste farfelu pour l’aider à gribouiller l’une de ses fameuses lettres qu’il avait l’habitude de décorer avec des autocollants et des crayons de couleur autour de motifs qu’il tamponnait ici ou là.

Ce jour-là, nous accompagnions notre mère qui photographiait alors sa ferme-atelier dont le jardin était encombré de diverses machines en métal assemblées de bric et de broc. Celui-là m’avait vraiment impressionné, car il avait une vraie voiture de course neuve, flambant d’un rouge immaculé dans son salon. Il s’appelait Jean Tinguely.

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