Le luxe de la lenteur

© DR
Benoît Heimermann

Pourquoi donc le nom d’Albert Londres, décédé en 1932, résonne-t-il encore aujourd’hui comme «une invitation au voyage, une ouverture sur le monde, une envie d’ailleurs»? Comment ce poète raté, mais grand reporter d’exception est-il resté dans nos mémoires? En quoi Londres est-il le pionnier du journalisme littéraire que nous aimons tant? Entretien avec Benoît Heimermann, auteur de la biographie Albert Londres, la plume et la plaie.

Servir et disparaître. Voilà deux mots qui colle à merveille au destin des journalistes. Après une vie de mots, de routes, de rencontres, de révélations, de comptes-rendus, d’éditos, l’immense majorité des plumitifs que nous sommes servent et disparaissent dans les brouillards profonds de l’histoire. Et même si notre égo corporatiste doit en souffrir, nos noms sont très rapidement oubliés par celles et ceux qui auraient pu nous laisser croire que nous étions utiles à quelque chose. Il y a pourtant des exceptions. Très rares. Albert Londres en fait partie ainsi que le démontre le journaliste et écrivain Benoît Heimermann dans une biographie richement illustrée et truffée de découvertes, parue en 2020 aux éditions Paulsen.

Albert Londres disparaît la nuit du 15 au 16 mai 1932 dans l’incendie du Georges Philippar emportant dans les profondeurs son corps ainsi que le dernier scoop du journaliste. On aurait pu imaginer que le souvenir du Vichyssois sombrerait lui aussi dans l’oubli. Et pourtant, près d’un siècle après ce drame, Albert Londres est encore et toujours une marque du journalisme de qualité. Comment l’expliquer?
Si Albert Londres est resté dans nos mémoires et que son héritage est encore vivace, il le doit avant tout au prix créé le 3 novembre 1933 par sa fille Florise. Un prix qui a pour objectif de perpétuer le souvenir de son père en récompensant chaque année les auteurs des reportages écrits et télévisés les plus aboutis des douze mois écoulés ainsi que le meilleur ouvrage d’investigation publié durant la même période. Petit à petit, ce prix est devenu une référence, une sorte de Graal de la profession. La notoriété d’Albert Londres a aussi profité de la republication de ses principaux reportages par Francis Lacassin dans la collection 10/18 il y a une quarantaine d’années. Deux initiatives qui forcément ont entretenu la flamme.

Dans le même temps, l’oeuvre d’Albert Londres n’a jamais percé ailleurs qu’en France.
C’est vrai qu’il est très peu traduit et que son aura journalistique, hors de France, ne dépasse pas certains cercles universitaires et avertis. 

Pourquoi ce silence international alors que Londres est un précurseur dans son genre? C’est par exemple l’un des premiers journalistes de l’histoire à oser se mettre en scène dans ses reportages et à donner son avis, comme le feront dans les années 1970 les apôtres du nouveau journalisme américain tels Gay Talese ou Tom Wolfe.
Justement parce qu’Albert Londres est un parfait représentant du «modèle français». Et j’emploie le terme de modèle à bon escient. Il pratique en effet un journalisme qui se distingue du journalisme «yankee» tel qu’on le qualifiait à l’époque, disons le journalisme à l’«anglosaxonne» pour faire simple qui d’emblée distinguait l’information du commentaire. Or Albert Londres fait le lien, il est ouvertement subjectif. Il se met souvent en scène sur les lieux de son enquête, donne clairement son avis et pointe du doigt ce qui lui déplaît, ce qui lui paraît injuste. C’est lui qui décide de ce qui est bien ou ne l’est pas. Il prend les devants. Qu’on aime ou pas son journalisme, ce dernier est impressionniste et subjectif. En cela, il se différencie des grands reporters londoniens ou new-yorkais qui fournissent un maximum de faits et d’informations, mais qui, toujours, laissent leurs lecteurs se faire leur opinion.

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