Kessel Cavaliers Kessel Cavaliers
Entre Bamiyan et Band-e Amir, mars 2005.© Alain Buu

Sur les pas des cavaliers de Kessel

Un grand reporter et un photographe sont partis chacun de leur côté sur les traces de Joseph Kessel en Afghanistan. De leur périple, ils ont rapporté des images et des textes qui entrent en résonance avec le chef d'œuvre romanesque de l'écrivain français, Les Cavaliers.

C’est un village fortifié sur la piste millénaire des bouddhas. Hameau de hauteurs, Gardan Diwal est à la fois un coupe-gorge et une forteresse imprenable, c’est selon. Lorsque j’ai découvert pour la première fois cette bourgade aux pierres rouges et ocre, à trois mille deux cents mètres d’altitude, au-delà d’un petit pont reconstruit au-dessus d’un torrent qui jamais ne connaît l’accalmie, je pensais me jeter dans la gueule du loup. Des talibans m’entourent, l’un d’eux m’accompagne constamment depuis mon départ de la vallée, à plusieurs heures de piste où l’on compte davantage de moutons que de turbans noirs adeptes de la pureté. 

Dans ce caravansérail de haute solitude, au-delà des torrents qui brisent les pierres et le temps, les étrangers ne sont pas les bienvenus. Mais sur le perron d’une maisonnée à flanc de précipice, face à un décor de commencement du monde, à moins que ce ne soit la fin, un homme affable vient au-devant de moi, me sert du thé. Il a une tête de miniature persane, tout en finesse et en belles rides, et me souffle en français: «Je m’appelle Abdul Qadir et j’ai été le cuisinier de Kessel.» La rencontre est d’autant plus ahurissante qu’elle se déroule dans la redoutable montée du Chibar, brèche qui fend la chaîne de l’Hindou Kouch. Sur le même chemin du col, Kessel avait rencontré, à la halte dans une maison de thé, un vieux Pachtoune, ancien sergent de l’armée britannique des Indes, qui parlait deux mots de français et qui l’interrogea sur ses préférences entre Pétain et de Gaulle pendant la guerre.

Ce jour-là, à l’orée des montagnes du Koh-i-Baba aux sommets de cinq mille mètres enneigés, loin de la chaleur de la plaine et ses steppes, à deux pas d’une échoppe où un pharmacien improvisé vend des médicaments largement périmés et d’autres totalement faux, je suis éreinté. Non par les contraintes du périple en Afghanistan, pour le moins compliqué et destiné à écrire Le faucon afghan, en prétextant que je visite le pays en quête du rapace local, réputé dans tout le monde arabo-musulman pour sa sagacité à repérer ses proies, mais par le zèle de Zahir, mon accompagnateur taliban, imposé par les miliciens à turban, qui craint que je ne pose trop de questions indiscrètes. L’indicateur à la barbe noire, qui a vingt-quatre ans, est précautionneux, beaucoup trop, attentif au moindre de mes gestes, comme si j’allais à moi seul mettre en péril la milice antivice et l’émirat adepte de la plus grande pureté. Du haut de son turban, il parle six langues mais non le français, regarde sans cesse les abords de ces montagnes où les talibans ne sont pas forcément bien accueillis et paraît très ennuyé lorsque le cuisinier de Kessel m’aborde. Je prends celui-ci par le bras pour l’entraîner un peu plus loin, devant un jardinet à vue imprenable sur l’éternité vers le haut et la barbarie vers le bas, vers la garnison du fief taliban. Dans ce bourg improbable investi par les islamistes, entre deux vallées qui se croisent avec leurs caravanes et leurs inimitiés, Abdul Qadir, un peu vieillissant, m’explique longuement qu’il a été employé de l’Ambassade de France à Kaboul et qu’il a été mis à disposition de Joseph Kessel pour une partie de son voyage de 1967, alors que son grand roman Les cavaliers venait d’être publié en France. Il me détaille la petite équipe mise à disposition par le roi et l’Ambassadeur de France, les étapes jusqu’à Ghazni, une ancienne ville royale, les villages du Wardak, et tout concorde.

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